The Immigrant – drame avec Marion Cotillard
Ellis Island, janvier 1921. Ewa et sa sœur Magda ont fui la Pologne où leurs parents ont été assassinés sous leurs yeux par les Cosaques, et touchent à présent du doigt leur rêve américain. Mais Magda, malade, est immédiatement placée en quarantaine. Quant à Ewa, elle est accusée d’être une fille de petite vertu et sur le point d’être expulsée, lorsque survient un homme providentiel, Bruno Weiss. Apparemment philanthrope au bras long, Weiss aide Ewa à gagner New York où il lui prodigue un emploi et un toit. Pour survivre ainsi que réunir l’argent nécessaire aux soins et à la liberté de sa sœur, Ewa tombe sous l’emprise de cet homme trouble qui prétend l’aimer et la force à se prostituer. Mais la jalousie et un étrange magicien viennent soudain perturber la routine de cette mauvaise vie…
L’œuvre de James Gray, constituée de cinq films d’une puissance émotionnelle rare et d’une beauté troublante – Little Odessa ; The Yards ; La Nuit nous appartient ; Two Lovers et donc, à présent, The Immigrant – est marquée par une noirceur terrible et obsessionnelle. Tous les films de James Gray parlent de déracinement et d’un besoin, d’une soif inépuisable de rédemption, qu’il faudra payer le prix fort. C’est encore le cas de The Immigrant, qui raconte quelque chose de l’Amérique, vue à travers les yeux de ces déracinés qui firent de la Statue de la Liberté le symbole de tous leurs espoirs. Ainsi Ewa, le personnage interprété par une Marion Cotillard transfigurée – que l’on redécouvre actrice après sa catastrophique performance dans The Dark Knight Rises – regarde-t-elle New York depuis le ferry comme cette promesse semblable à un supplice de Tantale : toujours à portée de main et pourtant toujours inaccessible. James Gray la filme tantôt comme une héroïne du muet et parfois comme une véritable Piéta, notamment lors d’une terrible scène de confession qui concentre un paroxysme d’émotion dans un film qui pourtant n’en manque pas. Elle est alors fascinante, avec ses grands yeux tristes et son visage qui semble magnétiser la caméra, monopolisant les passions de tous les personnages, jamais complètement adjuvants ni jamais franchement antagonistes non plus.
Car Gray fait d’Ewa / Cotillard, de sa beauté pâle et maladive, le seul point de lumière d’un film plein de ténèbres ; tous les autres personnages ayant accepté l’obscurité comme condition sine qua non de leur intégration, dans un pays qu’ils ne pourront conquérir qu’en passant par ses bas-fonds. En même temps qu’il rend un vibrant hommage à tous ces immigrants qui se sont sacrifiés pour bâtir la nation américaine, louant leur courage face aux épreuves traversées, Gray trouve là une occasion superbe de laisser s’exprimer sa virtuosité. Utilisant la lumière pour mieux dessiner les ombres, il construit des plans toujours plus riches, vibrants dans des teintes sépias qui disent à la fois l’espoir et l’environnement glauque des taudis où s’ébattent les personnages ; ou bien des atmosphères pesantes comme tout droit sorties de tableaux d’Edward Hopper. Le tout dernier plan du film en représente l’apogée, atteignant une poésie visuelle bouleversante et disant l’indicible par la seule force de l’image.
Au milieu de ce combat pour la survie, James Gray place Bruno Weiss, mauvais génie trouble et amoureux d’Ewa, à la fois son salut et sa perte, incarné par un Joaquin Phoenix inénarrable. Le toujours excellent Joaquin Phoenix a trouvé avec James Gray depuis The Yards un metteur en scène capable d’en capter le rayonnement sombre pour mieux éclabousser l’écran de son aura irrépressible. Ambigu, il porte sur Ewa un regard aimant et possessif qui constitue pour la jeune femme la plus grande des menaces, offrant ainsi un parfait contrepoint à la fragilité du personnage de Marion Cotillard. Pourtant, chacun de ces deux personnages est dévoré de l’intérieur par une flamme capricieuse : l’espoir d’obtenir enfin une vie heureuse pour Ewa ; celui d’être aimé pour Bruno. Mais finalement, ce désir est le même : c’est celui de l’obtention d’une rédemption, d’un pardon, pour l’arrachage que constitue le déracinement. Entre ces problématiques de la rédemption, du déchirement et du sacrifice de soi, de l’obscurité, de l’exil, James Gray continue ainsi avec The Immigrant sa construction d’une œuvre grandiose, hantée par la nostalgie de ses propres origines. Un film à fleur de peau, auquel l’émotion ne résiste pas.
Raphaëlle Chargois
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Festival de Cannes 2013 (du 15 au 26 mai)
The Immigrant
De James Gray
Avec Joaquin Phoenix, Marion Cotillard et Jeremy Renner
Durée : 119 min.
Sortie le 27 novembre 2013
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