Or Noir – film de Jean-Jacques Annaud
« Nous devrions rire de nous-mêmes de nous être battus pour ce bout de sable ». Ainsi parle le roi Nessib, alors que son rival Amar remet entre ses mains ses deux fils, otages et garants de la paix. Celle-ci sera maintenue à la seule condition que le Corridor Jaune, quelque part dans le désert arabique durant les années 1930, reste pour toujours un territoire neutre, qu’aucun des deux souverains ne pourra s’approprier.
Mais Nessib lorgne du côté de l’Occident, de ses richesses, de son développement, de son rayonnement culturel dans le monde. Quand Amar ne reconnaît de richesse que dans sa foi religieuse, considérant que « ce qui a de la valeur ne s’acquiert que par le sang ou l’amour », Nessib convoite tous ces biens matériels qui demeurent hors de sa portée.
Lorsqu’une compagnie texane dévoile la présence d’un important gisement de pétrole dans le Corridor Jaune, Nessib voit là l’occasion de rattraper le retard qu’il considère posséder sur la civilisation occidentale. Mais l’exploitation de l’or noir réveillera le conflit entre Amar et Nessib, y embrigadant toutes les tribus du désert.
Comme ce scénario le laisse supposer, Jean-Jacques Annaud réalise avec Or Noir une grande fresque épique à l’ancienne. L’admiration d’Annaud pour les films d’aventures en cinémascope de la grande époque hollywoodienne est si patente qu’il semble impossible de ne pas songer à Lawrence d’Arabie, film auquel le réalisateur de Stalingrad rend un évident hommage. Tous les éléments semblent donc réunis dans ce but d’accomplissement romanesque : une histoire d’amour mise en péril par les rivalités des deux rois ; « le fils de deux pères » déchiré à la fois dans son rapport filial et dans son sentiment de justice pour un pays qu’il estime coincé entre tradition et modernité ; des paysages grandioses et dépaysants ; une musique sirupeuse signée James Horner ; d’impressionnantes batailles filmées en plan large. Mais malgré la photographie magnifique et ultra-léchée, le souffle manque. Or, le souffle est la condition sine qua non de l’épopée (parlez-en à Roland de Roncevaux) et en son absence, la corne de brume de Jean-Jacques Annaud sonne creux.
En outre, ce qui s’avère réellement dérangeant dans Or Noir, c’est l’ambiguïté de son discours. Peut-être soucieux d’éviter un manichéisme de certes mauvais aloi, Jean-Jacques Annaud oublie de prendre un parti critique, mettant ainsi le spectateur dans une posture très inconfortable qui ne colle pas du tout avec l’atmosphère générale de son film, au demeurant peu polémique. Car si le roi Nessib est cupide, son avidité n’est pas motivée que par son seul profit ; ce qu’il désire c’est permettre à son peuple de se développer et d’acquérir un véritable rayonnement dans un monde en pleine métamorphose. Si Amar est si réfractaire à l’idée de progrès, c’est parce qu’il redoute l’acculturation que provoqueront l’investissement et l’ingérence occidentale, scrupule certes fondé, mais qui le pousse à prôner le repli et à rejeter toute perspective d’avancée sociale dans le cadre d’une vision extrémiste et littérale de la religion. La voie de la conciliation incarnée par le prince Auda apparaît ainsi comme une utopie rocambolesque et peu crédible. De ce fait, lorsque le film s’achève, le spectateur se demande toujours où le réalisateur voulait en venir, sentiment d’autant plus prégnant que sous des dehors métaphoriques le film évoque une réalité contemporaine dont l’impact s’est plus encore fait ressentir depuis les récentes révoltes du monde arabe : l’enjeu géopolitique des ressources pétrolières, les jeux de pouvoir qui en découlent ; l’organisation économique qu’elles impliquent notamment. Tous ces thèmes, le film les évoque, mais sans les analyser ; il se contente d’une présentation de surface. Aussi, formellement beau mais fondamentalement vide, Or Noir apparaît vite comme un objet cinématographique superficiel et vain.
Raphaëlle Chargois
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Or Noir
De Jean-Jacques Annaud
Avec Tahar Rahim, Antonio Banderas, Mark Strong et Freida Pinto.
Sortie le 23 novembre 2011
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