La Chasse – drame de Thomas Vinterberg
Un petit village soudé du Danemark. La vie y est insouciante, comme figée dans un âge d’or. Bien sûr, le monde contemporain et ses aléas troublent parfois l’existence dans ce cadre idyllique. Ainsi, Lucas, instituteur, travaille désormais au jardin d’enfants. Il est un peu surqualifié pour ce poste, mais il est prévenant et attentif avec les petits, dont il partage les jeux. Ceux-ci l’adorent et lui permettent peu à peu de surmonter les péripéties d’un divorce difficile. Passionné de chasse, il trouve dans la forêt une paix naturelle grâce à laquelle il parvient peu à peu à se ressourcer. Ses amis chasseurs l’entourent et le réconfortent. Et une nouvelle employée du jardin d’enfants lui fait les yeux doux, lui laissant espérer un nouvel amour. Enfin, comble de bonheur, son fils Marcus s’apprête à revenir vivre auprès de lui.
Tout semble donc aller pour le mieux pour Lucas. Mais tandis qu’il rassemble les morceaux de sa vie, il ignore que le petit mensonge d’une enfant dépitée va plus que jamais la chambouler.
Ainsi, la structure de La Chasse est celle d’un conte, où le mal s’insinue peu à peu, dévorant les cœurs jusqu’alors innocents. Le chasseur devient le gibier, face à ceux qui étaient autrefois ses amis en proie à la peur, villageois traquant un fantasme de monstre moderne. Cette fois, cependant ils ne sont pas armés de fourches. C’est moralement et psychologiquement que le personnage de Lucas est acculé, traqué, poussé dans ses retranchements les plus bestiaux.
Pourtant, en toutes circonstances, Lucas s’efforce de rester digne pour faire éclater au grand jour la vérité. Mais plus le cycle des saisons avance, faisant place à la froidure hivernale, plus le mensonge empire, s’étend, contamine les choses et les gens. Dans une scène d’une intensité incroyable, Mads Mikkelsen, extraordinaire de bout en bout, laisse éclater sa colère et son désespoir au milieu des chants de noël et des cantiques.
Il ne faudrait cependant pas omettre de mentionner la performance tétanisante de la toute jeune Annika Wedderkopp, formidable dans ce rôle d’enfance sacrifiée, à cause d’un mensonge dont se sont emparés les adultes et qu’elle ne maîtrise plus.
Avec une précision glaçante, Thomas Vinterberg filme ici les mécanismes de la peur qui s’instille, une peur instinctive, irrationnelle, irrépressible. La crainte d’un fléau si terrible qu’il déclenche une persécution presque fratricide, et pousse les êtres jusqu’à la lisière de l’humanité, gangrénée par un dégoût profond.
Mais il a l’intelligence de ne pas chercher à désigner des coupables : les enfants, les adultes, Lucas ; tous sont les victimes d’un mal innommable. Chacun veut faire le bien, mais l’esprit se perd entre le réel et le rêve, nourrissant la peur. Ainsi il est effrayant de constater avec quelle facilité de faux souvenirs détaillés s’implantent dans la tête des enfants, qui n’ont même pas conscience d’avoir inventé quoi que ce soit et qui se croient réellement victimes. La manipulation mentale est d’autant plus efficace que tout le monde est à la fois manipulateur et manipulé.
Pour le spectateur, le choc est rude, car seul témoin de la vérité, il est placé aux côté de Lucas, et vit la traque ainsi, dans la peau du gibier, tout le village face à lui. Divers mondes de croyances s’affrontent ; la croyance en la sincérité de l’enfant ; la croyance en soi, en l’autre. Même la foi chrétienne s’en mêle, et ce n’est sans doute pas un hasard si la scène la plus bouleversante du film se situe dans le refuge d’une église ou si le père de celle par qui le scandale est arrivé s’appelle Théo.
Le mal-être dérangeant et profond qui émane de ce film poursuivra son spectateur bien longtemps après. Car finalement, peut-être la perversion existait-elle déjà dans l’univers idyllique de ce village clôs ? Semblable un temps à la biche qu’il menaçait de son fusil, Lucas ne cessera pourtant jamais de la traquer.
Raphaëlle Chargois
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Independent Spirit Awards 2014 (le 1er mars)
- 1 nomination : Meilleur film étranger
BAFTA 2013 (10 février)
- Nomination : Meilleur film en langue étrangère
European Film Awards – Prix du cinéma européen 2012 (1er décembre)
- Nominations : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur (Mads Mikkelsen), Meilleur scénario et Meilleur montage
Festival du Film de Sarlat 2012 (du 13 au 17 novembre)
- Sélection tour du monde
Festival International du Film d’Arras 2012 (du 9 au 18 novembre)
- Avant-première
Festival Cinématographique d’Automne de Gardanne 2012 (du 26 octobre au 6 novembre)
- Avants-première
Grand Prix Cinéma ELLE 2012 (23 octobre)
- Grand Prix Cinéma ELLE
Festival de l’absurde séance 2012 (du 4 au 6 octobre)
- Film d’ouverture
Zurich Film Festival 2012 (du 20 au 30 septembre)
- Avant-première
Festival International du Film de Toronto 2012 (du 6 au 16 septembre)
- Avant première nord américaine
Paris Cinéma 2012 (du 29 juin au 10 juillet)
- Avant-première
Festival de Cannes 2012 (du 16 au 27 mai)
- Sélection officielle (film en compétition)
- 2 prix : Prix d’Interprétation Masculine et Prix du Jury œcuménique
La Chasse
De Thomas Vinterberg
Avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Annika Wedderkopp, Lasse Fogelstrøm et Susse Wold
Durée : 111 min.
A découvrir sur Artistik Rezo :
– L’interview de Thomas Vinterberg
– les films à voir en 2012
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