Jeune et Jolie – drame avec Marine Vacth
En sortant du lycée, Isabelle, dix-sept ans, rejoint dans de luxueux hôtels des hommes qu’elle fait payer. Pour trois-cent euros la passe, elle livre son corps en pâture à leurs désirs, puis s’en retourne au bourgeois domicile de ses parents, compter un magot qu’elle ne dépense pas et dont elle n’a pas besoin. Jusqu’au jour où un événement tragique lève le voile sur sa double vie. Sa famille tente de comprendre en vain. Pourquoi Isabelle, qui n’a jamais manqué ni d’amour ni d’argent, a-t-elle choisi de se vendre ainsi sur Internet ? La question taraude tous les personnages du film, qui cependant se garde bien d’y répondre tout en soulignant lourdement le désarroi suscité.
Sous prétexte de ne pas juger ni moraliser l’acte de son personnage principal, la caméra d’Ozon n’explique rien. Cette absence de discours semble pourtant en réalité bien mal masquer le véritable enjeu du film ; enjeu qui transparait de la mise en scène à son propre insu et qui s’avère peut-être plus révoltant encore que les propos polémiques du réalisateur lors du dernier festival de Cannes : l’objectivation du corps féminin au profit d’un fantasme bourgeois.
Car si la caméra d’Ozon se laisse fasciner par la beauté plastique de son actrice principale, Marine Vacth, elle ne lui confère jamais aucune intériorité. La jeune fille est regardée, analysée, touchée, mais ne s’exprime jamais, réduite au rang de bel objet soumis aux désirs des autres.
« Vous êtes belle » lui répète-t-on alors. « Trop belle. » Et c’est pour s’approprier cette beauté qu’Isabelle / Léa est dépossédée de son corps, le vendant mécaniquement pour le plaisir d’hommes âgés sans jamais se préoccuper du sien. Ces hommes sont d’ailleurs toujours excusés, tandis que la sexualité de toutes les femmes du film est sujette à suspicion. Ainsi, c’est toujours la femme qui trompe, quand l’homme adultère n’est lui que victime d’une femme « dangereuse » et toujours coupable ; de la fille prostituée à la mère volage en passant par la meilleure copine s’en voulant de ne pas avoir su satisfaire son partenaire lors de sa première fois, ou encore l’épouse avouant qu’elle n’a jamais osé satisfaire un fantasme de prostitution qu’elle partageait pourtant.
Tout se passe alors comme si la beauté de la jeune fille pouvait être considérée comme sa malédiction ; une malédiction qui excuse le fait que la société l’exploite sans prendre en compte ses propres désirs, du dépucelage raté et gênant – qui s’apparente presque à un viol – au comportement des clients conscients qu’ils tirent avantage d’une adolescente perdue mais ne la renvoient pas pour autant. Le comble de ce raisonnement est peut-être atteint lorsque le beau-père d’Isabelle déclare à sa mère avec un sourire goguenard « C’est vrai qu’elle est belle, aussi, ta fille. C’est normal qu’elle ait eu des propositions. » Ainsi, c’est la beauté qui est provocatrice et instille « le vice », comme le pense sa mère, dans le corps de la jeune fille.
Or, comme si la misogynie de ce propos, mal dissimulée derrière une pseudo-admiration béate de la beauté et de la sacro-sainte féminité ne suffisait pas, on peut également trouver lassante cette tendance d’un certain cinéma français à ne se focaliser que sur les mœurs et les préoccupations de la caste la plus favorisée de la société française. Il serait peut-être temps que les réalisateurs de ce pays s’aperçoivent qu’il existe une jeunesse hors de la cour d’Henri IV ; hors des milieux bourgeois où l’absence de difficulté fait qu’on s’ennuie tellement qu’on n’a que les problèmes de couples et d’autorité familiale pour se distraire. Là où les lycéens ne sont pas forcément assez disciplinés pour réciter sagement à tour de rôle et d’un bout à l’autre « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », comme des pantins désincarnés ; mais où leur quotidien donne du sens aux mots de Rimbaud, poète rebelle qui d’ailleurs abhorrait la bourgeoisie.
Raphaëlle Chargois
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Festival de Cannes 2013 (du 15 au 26 mai)
Jeune et Jolie
De François Ozon
Avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot, Charlotte Rampling, Johan Leysen, Fantin Ravat, Nathalie Richard et Laurent Delbecque
Durée : 94 min.
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2013
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