Gatsby le Magnifique – drame avec Leonardo DiCaprio
Qui est Gatsby ? Le cousin du Kaiser ? Un héros de guerre ? Un assassin ? Un bootlegger ? A moins, tout simplement, qu’il n’existe pas… Telles sont les questions qui taraudent les protagonistes de cette nouvelle adaptation du plus fameux roman de Francis Scott Fitzgerald. Ainsi, avant même d’apparaître à l’écran, Gatsby, le mystérieux hôte qui dans l’ombre veille sur l’ingénu Nick Carraway, est déjà un mythe, un personnage de féerie.
Comme dans un conte, il habite un étrange château, semble avoir vécu mille vies, donne de somptueuses fêtes auxquelles tout le monde assiste mais où personne ne le voit jamais, « est plus riche que Dieu », et cherche à attirer la belle aux boucles d’or dans ses filets. Mais en fait de bête, c’est un rêveur qui se cache au creux du château merveilleux. Le maléfice dont il est victime s’appelle l’amour ; un amour fou, insurmontable, pour lequel Gatsby n’aura de cesse de tenter d’exhumer le passé et de métamorphoser le présent.
Car le passé tyrannise le milliardaire, prisonnier de son rêve, à l’image de cette lumière verte qu’il cherche si désespérément à atteindre sans jamais parvenir à la saisir. Les fastueuses fêtes de sa demeure ont déjà l’arrière-goût de sa nostalgie. L’Amérique est aux portes de sa propre décadence, mais le riche monde s’étourdit d’alcool, de danses et de jeux pour ne pas voir la crise qui s’annonce.
Les mondes s’affrontent : celui du château merveilleux, où tout n’est que plaisirs et liesses ; et l’espace irréel, comme hors du temps, où l’urbanité émerge peu à peu de la poussière, du charbon remué par des ouvriers suants, sous les yeux non-cléments d’un dieu publicitaire, dans l’entre-deux reliant New York aux îles paradisiaques où évoluent les personnages. Et c’est dans ce monde de cauchemar que les événements se précipitent et que la modernité rattrape Gatsby.
Ecrit en 1925, le roman de Fitzgerald préfigurait de manière stupéfiante la fin prochaine du rêve américain, annihilé brusquement par la crise de 1929. En adaptant cette œuvre visionnaire, c’est un discours sur la vanité de la société contemporaine que Baz Luhrman effectue. Le procédé lui était déjà familier : il faut se souvenir de Romeo + Juliette, jusqu’alors sans doute sa plus grande réussite, adaptation pour laquelle le réalisateur glissait les mots de Shakespeare dans la peau d’Américains contemporains de Verona Beach, chemises hawaïennes sur le torse et flingues en mains. Mais pour ce Gatsby, Luhrman a eu l’intelligence d’adapter aussi bien le message du roman que son propre style. On aurait pu craindre qu’en transposant The Great Gatsby, fresque de la fin d’un âge d’or, avec ses fastes baroques et ses rêves grandioses, le réalisateur ne cède à une débauche nuisible d’effets kitschs. Cependant, comme s’il voulait approcher le raffinement de son personnage, Luhrman se retient, prend le temps de composer une image certes grandiloquente mais sans l’hystérie qui parfois empesantit sa mise en scène – voire aboutit à des ratages grotesques, du genre du catastrophique Australia. Quoi que l’on ressente toujours le goût de Baz Luhrman pour l’ornementation dans une image graphique, de toute évidence conçue et pensée pour la 3D, il opte pour un certain classicisme hollywoodien qui colle bien au propos du film. On pourra cependant regretter la quasi-inexistence de ce jazz qui marqua les Roaring Twenties dans la bande-son, et ce bien qu’on puisse très précisément comprendre le choix d’une musique contemporaine et urbaine comme une volonté supplémentaire d’adaptation.
Le détail qui cependant gâche un peu le film et l’empêche de susciter l’adhésion complète, c’est toutefois la misogynie fondamentale de sa conclusion, qui fait de la femme aimée la damnation du héros. Une misogynie qu’on attribuera sans peine à Fitzgerald lui-même, puisqu’on sait que l’écrivain exorcisait par le biais de sa plume ses déboires matrimoniaux avec sa turbulente épouse Zelda. Mais quoi qu’elle n’apparaisse pas dans les processus filmiques proprement dits, utilisée surtout pour amplifier la construction du héros, elle n’en est pas moins dérangeante. Cette femme défendue dont les caprices brisent les aspirations du héros américain, inébranlable dans sa capacité à espérer et à rêver de réinventer le passé, peut toutefois sans doute être également comprise comme une métaphore d’un mépris de classe, qui caractérisait l’époque de Fitzgerald et qu’on reconnaitra malheureusement fort bien. Car finalement, ce que ce Gatsby nous narre, c’est aussi l’égoïsme et l’élitisme d’une société pourrie d’argent, qui s’en gave jusqu’à l’orgie, quitte à briser les autres au passage, n’a de respect que pour les apparences clinquantes et jalouse ceux qui réussissent par leur simple volonté. Une société en lutte, dans laquelle les classes s’affrontent derrière les masques des bals et l’élégance des costumes, à la fois superficielle et sacrificielle, qui n’est hélas pas sans rappeler la nôtre.
Raphaëlle Chargois
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BAFTA Awards 2014 (16 février)
- 3 nominations : Meilleurs costumes, Meilleurs décors et Meilleurs maquillages et coiffures
Festival de Cannes 2013 (du 15 au 26 mai)
Gatsby le Magnifique
De Baz Luhrmann
Avec Leonardo Dicaprio, Tobey Maguire, Carey Mulligan, Isla Fisher et Elizabeth Debicki
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2013
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