Festival de Cannes – 22 mai 2013
Je ne vous cache pas que je me rends à la projection du nouveau film de Nicolas Winding Refn (Drive) à 8h30 à reculons. Le réalisateur est connu pour ses films chocs à la violence explicite et aux univers très, très sombres. Only God Forgives ne déroge pas à la règle mais étonne par son propos étonnamment anti-machiste. Pour échapper à sa mère toxique et à l’image hyper masculine violente et sexuée qu’elle veut lui imposer, un homme (Ryan Gosling) part en quête de vengeance et rencontre finalement la justice. On retrouve une nouvelle fois les inspirations de Nicolas Winding Refn, Gaspar Noé et Stanley Kubrick en tête, mais son univers semble s’être enrichit en s’épurant. Le réalisateur délaisse les effets de mode et l’utilisation de musiques déstinées à être des tubes de l’été (effet Drive) et ce n’est pas plus mal. Le public cannois est plus partagé car le film est autant hué qu’applaudit à la fin de la projection.
J’enchaîne Only God forgives avec La Cage dorée (du réalisateur Diego Quemada Diez) en sélection Un certain Regard. Ce road movie qui part du Guatemala pour s’arrêter aux Etats Unis est surtout la mise en image d’une fuite en avant inexorable de peuples fatigués par la violence et la pauvreté et prêts à tout pour toucher du doigt le rêve américain. Prêts, même, au dernier des sacrifices. Le propos est sombre mais aussi parfois poétique et jamais misérabiliste. On croise avec ces trois ados le pire de l’humanité mais aussi des personnes belles et touchantes. Ce genre de témoignage n’est certainement pas neuf mais il y a ici comme une fraicheur de ton et de regard qui touche juste.
Je décide de profiter de ma dernière journée de présence pour prendre encore le soleil, me balader sur la croisette et sentir une dernière fois l’ambiance de ruche qui ne règne qu’ici. Je m’offre le luxe d’un vrai déjeuner en terrasse, je rentre à la colocation pour commencer à boucler ma valise. Et puis arrive l’heure du dernier film (enfin, l’heure du dernier film moins 2 heures puisque celui-ci je ne peux décemment pas le louper). L’attente se fait sous une pluie battante, comme si les éléments m’offraient un au-revoir sous la forme d’une fin de cycle. Je suis arrivée sous la pluie, je repars sous la pluie… ou quelque chose comme ça.
Le film d’Abdellatif Kechiche, La Vie d’Adèle, dure plus de 3 heures. Adaptation libre d’une bande dessinée primée à Angoulême, Le bleu est une couleur chaude, La vie d’Adèle sera présenté dans les salles en deux parties distinctes. Autant vous dire tout de suite que je ne m’attendais pas à être autant bouleversée, qu’après une grosse semaine de festival et une trentaine de films, je ne pensais pas ne jamais regarder ma montre et avoir les larmes aux yeux, même, dès les premiers instants du générique. Avec une sensibilité et une pudeur qu’on ne lui connaissait pas, Kechiche a dépeint plusieurs années de la vie d’une femme, d’un couple, de la France même. C’est beau, c’est passionnant, c’est juste et c’est aussi l’explosion sur grand écran d’un grande actrice : Adèle Exarchopoulos.
Je sors de cette projection convaincue qu’il faut que je finisse mon festival là dessus, que rien ne peut égaler autant de beauté (la suite des événements me donnera raison puisque le lendemain on découvre dans la presse française que pour le première fois depuis années, une majorité écrasante des critiques accorde sa palme à ce film). Il ne me reste plus qu’à croiser les doigts pour lui jusqu’au palmarès dimanche soir.
Une grande assiette de spaghetti bolognaise plus tard (mon petit hommage perso au film), il est déjà temps de se rendre sous la pluie à la soirée du film 3X3D, une compilation de films par les réalisateurs Peter Greenaway, Jean-Luc Godard et Edgar Pera à la plage du Majestic. Il pleut sur nos têtes et je n’ai pas le cœur à la fête mais ça ne m’empêche pas de profiter du bruit des vagues que la plage, des verres de champagne, des derniers débats de cinéma avec mes compagnons de festival. Tout ça a déjà le goût de la fin, c’est normal puisque pour moi c’est déjà fini. Rendez-vous l’année prochaine.
Lucile Bellan
A (re)découvrir sur Artistik Rezo :
– Festival de Cannes – 21 mai 2013
– Sélection officielle du festival de Cannes 2013
[Visuels : Lucile Bellan]
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