Festival de Cannes – 18 mai 2013
Le cinéma du monsieur me rend euphorique mais sa lubie de vouloir adapter un bouquin de psychologie sur un indien d’Amérique à la fin des années 40 m’inquiète. Ma curiosité naturelle reprend le dessus et me voilà, emmitouflée dans une tenue hivernale et parapluie en main, à courir à l’aube m’installer dans la grande salle lumière.
Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) ouvre un nouveau chapitre dans la carrière d’Arnaud Desplechin. Celui qu’on connaissait principalement pour ses réflexions sur les difficultés de vivre ensemble et de s’aimer est désormais plus apaisé. Il adapte son livre fétiche (chose qu’il n’aurait certainement pas pu faire il y a 10 ans) et le résultat est à la hauteur des attentes : les dialogues (spécialité de ce réalisateur) sont un délice et les acteurs (Benicio Del Toro et Mathieu Amalric) livrent des interprétations inoubliables.
Une nouvelle fois, il faut se presser pour avoir une bonne place dans la queue pour voir le film de 11h (en l’occurrence Grand Central de Rebecca Zlotowski).
Pluie. Pluie, pluie, pluie et re-pluie. On manque de se faire éborgner par 10 parapluies, on pense égorger la journaliste italienne qui parle très fort dans son téléphone et incruste 5 de ses collègues dans la file d’attente comme si de rien n’était. Il est 10h30 et déjà les esprits s’échauffent.
Dans la salle pour le nouveau film de Rebecca Zlotowski (Belle épine), Grand Central, j’apprend que l’équipe viendra sur scène le présenter. Ce qui, en langage de festivalier, promet environ 20 minutes de retard sur l’horaire de la projection. Grand Central est un film qui a la particularité de se passer dans le milieu des centrales nucléaires françaises (et en particulier des techniciens qui risquent leur vie pour faire la maintenance). Cet aspect est très bien documenté mais ne vient malheureusement pas rattraper un scénario convenu et ennuyeux.
Comme le temps ne permet pas de faire autre chose, je quitte la salle (après une standing ovation — injustifiée — de 10 minutes de l’équipe) pour y entrer à nouveau.
Après une énième douche en plein air et quelques prises de becs avec des journalistes décidément bien remontés, je suis prête à découvrir Bends, un film de Flora Lau, sélectionné pour Un Certain Regard. J’avais beaucoup d’attente pour ce film chinois qui aborde le problème du contrôle des naissances et les subtilités de la frontière entre Hong Kong et le continent. Malheureusement, même si les images sont d’une rare finesse, le film traîne en longueur et s’enfonce dans un rythme lent et mou au détriment d’une énergie qui aurait été de rigueur au regard des drames que vivent les personnages.
Pendant ce temps là, la pluie continue de tomber. N’allez pas croire que je me sois découvert une passion pour la météorologie mais ce détail va avoir son importance dans la suite de ma journée. J’avais entendu dire précédemment que le nouveau film des Frères Coen, Inside Llewyn Davis, présenté en compétition officielle allait déplacer les foules. Je me rends donc à la projection réservée à la presse 1h15 en avance (toujours sous la tempête). Plus d’une heure donc dans les courants d’air, à me rendre compte que mon parapluie n’est pas étanche et à me faire pousser dans tous les sens pour finalement s’entendre dire que la salle est pleine. Le film étant diffusé ailleurs 2h30 plus tard, je décide de sauter le dîner pour surveiller de près les mouvements de mes collègues près de la salle. Ce n’était pas une erreur parce que, presque 2 heures avant la séance, près de 50 journalistes sont déjà amassé, assis sur le sol, à travailler, boire des cafés (à volonté en salle de presse) ou regarder un épisode des Griffin.
Très vite, le ton monte entre la sécurité et les journalistes déjà recalés à la séance précédente. On pressent que la place ne sera pas garantie par le temps d’attente. Tout le monde se lève et les corps se rapprochent, désormais de plus en plus sensiblement aux mouvements de masse. J’ai mal aux pieds, au dos et j’ai surtout peur de tomber en sachant que me relever dans cette foule compacte sera très difficile. On compte le nombre de personnes devant nous, on espère et on regarde, impuissant, des professionnels traiter les agents de sécurité de CRS et s’empoigner au col. Il y a aussi de plus en plus de cris « On veut rentrer » « Arrêtez de pousser » et de huées.
Finalement, après quelques coups dans les côtes, je fais partie des quelques privilégiés à entrer. 3h15 d’attente en tout pour voir un film, c’est mon record depuis que j’ai une accréditation presse et c’est aussi la première fois que je me retrouve dans un tel bordel, à ne pas aimer l’ambiance en constatant que la sécurité ne fait qu’empirer la situation. On entend des cris et le brouhaha bien après le début du film.
Heureusement, Inside Llewyn David vaut largement ces sacrifices. C’est un coup de cœur, un vrai. Le film est beau, foisonnant d’idées et d’humour (il y a même un chat roux comme fil conducteur). Le casting est étonnant, on y retrouve des habitués des frères Coen et on y découvre un étonnant Justin Timberlake et un hypnotisant Adam Driver. Pour une fois, et même si le film a un coté sombre, il m’a offert de grands éclats de rire sincère et de grands frisson à cause d’un bande originale folk parfaite.
La journée se finit tard, plus tard que prévu, mais elle se finit bien. Je file à la colocation mon parapluie à la main mais le sourire aux lèvres. Demain il fera beau, je le sais (enfin, c’est MétéoFrance qui le dit).
Lucile Bellan
A (re)découvrir sur Artistik Rezo :
– Festival de Cannes – 17 mai 2013
– Sélection officielle du festival de Cannes 2013
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