Hommes d’Eglise et monde de l’art – par Jean-Luc Chalumeau
Il s’agit d’une décision du cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture dont les artistes sélectionnés occupent le padiglione della Santa Sede. Ce sont le photographe tchèque Josef Koudelka (dont on vient de voir à la Vieille Charité de Marseille une remarquable série en noir et blanc sur les fouilles gréco-romaines du pourtour méditerranéen), le peintre australo-américain proche de l’arte povera Lawrence Carroll et les trois artistes-vidéastes milanais réunis dans le très branché Studio Azzurro. Somme toute, un bon échantillonnage des tendances contemporaines qui n’avait à suivre qu’une indication : s’inspirer de la Genèse. Le Studio Azzurro évoque ainsi la Création, Josef Koudelka, celui qui se rendit fameux en photographiant le Printemps de Prague écrasé par les chars soviétique, illustre quant à lui « la destruction matérielle découlant de la perte du sens éthique ». Enfin Lawrence Carroll se charge de suggérer une « re-création » par le moyen de matériaux de récupération. Tout cela est fort bien, mais le cardinal Ravasi fait le modeste et dit qu’il ne s’agit que d’un début.
Il a raison, car il lui a bien fallu admettre que le plus grand artiste contemporain puisant une part essentielle de son inspiration dans le Sacré, Bill Viola, a poliment décliné son invitation. C’est l’indice d’un grave problème, dont le cardinal est conscient quand il demande à l’Eglise de s’ouvrir à la société, donc aussi à l’art contemporain (ce qui ne veut pas dire à ceux qui pratiquent systématiquement la dérision de tout ce qui est sacré pour les chrétiens). Si l’Eglise, puissance spirituelle rassemblant un milliard deux cent millions de fidèles, doit passer commande à des artistes, ne faudrait-il pas que ce soient les plus grands, et pour des réalisations puissamment éloquentes, comprises par les multitudes ? Bill Viola était une excellente idée, mais il ne fallait pas lui proposer de partager un petit pavillon, il fallait lui donner carte blanche, lui seul, par exemple dans la Basilique Saint Marc. Là il aurait su bouleverser les grandes fibres archétypales des visiteurs et, qui sait, les aider à avancer vers Dieu. Il est triste que la prestation de Studio Azzurro apparaisse comme du sous-Viola.
Eminence, Bill Viola vous a raconté que « son agenda était trop chargé » parce qu’il ne vous connaît pas. Parce que vous n’avez pas su prendre le temps de devenir son ami, comme Mgr Tiberio Cerasi avec Le Caravage, comme le Père Couturier avec Matisse et Rouault. La faute de l’Eglise depuis trop longtemps, c’est qu’elle ne connaît plus, n’aime plus le monde de l’art et qu’elle ne sait plus distinguer entre les opportunistes qui se moquent d’elle et les authentiques grands créateurs dont elle ne sait pas se rapprocher. Je sais bien, éminence, c’est compliqué, notamment parce que l’Eglise est devenue pauvre (mais il y a le mécénat, dont vous avez fort bien su vous servir), parce qu’aussi elle se laisse mal conseiller par des pseudo-spécialistes qui partent du principe que le christianisme est mort, et que sur cette charogne l’art contemporain n’a plus qu’à se nourrir. La Lettre à Alexandre Cingria sur les causes de la décadence de l’art sacré de Paul Claudel est du 19 juin 1919. Il n’y a malheureusement rien à changer pour qu’elle reste d’actualité : la première cause, n’est-ce pas « le divorce entre les propositions de la Foi et ces puissances d’imagination et de sensibilité qui sont éminemment celles de l’artiste » ? Vous tentez d’ouvrir le chemin de la réconciliation. Bonne chance, éminence.
Jean-Luc Chalumeau
Critique et théoricien de l’art, l’auteur a dirigé, de 1981 à 1995, la revue Opus international. Il est actuellement directeur de la revue Verso Arts et Lettres et professeur d’histoire de l’art contemporain à l’ICART. Son dernier livre paru : Chefs d’œuvre méconnus des musées de France (éd. du Chêne).
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