Françoise Monnin – Île été tant – Galerie Samantha Sellem
Quel est le principal axe de vos recherches ?
Je travaille sur les logiques de l’assemblage dans l’art du XXème, et du XXIème siècle maintenant… car elle n’est toujours pas finie ! Tout ce qui fait que la sculpture est passée d’un bloc à des morceaux rapprochés, avec une réflexion sur la blessure, la déchirure, la mémoire, le fétiche… Je déborde maintenant vers l’art primitif et l’art brut, les bricoleurs en général.
Chez Artension (dont je suis la rédactrice), nous avons fait un grand sujet sur l’exposition « Vaudou » à la Fondation Cartier, ainsi que sur le personnage de Jacques Kerchache. Nous mettons en vedette une expo tous les deux mois, et nous ne nous sommes pas trompés : elle est vraiment géniale. Le prochain événement mis en lumière, dans le magazine, se passe à Dinard : « Big Brother – l’artiste face aux tyrans », du 11 juin au 11 septembre 2011, au Palais des arts et du festival de Dinard.
Depuis quand êtes-vous commissaire d’exposition ?
Ouh là là, ça ne va pas me rajeunir ! C’était la première carte blanche accordée à un critique d’art par l’Espace Ricard, en 1993. J’avais réuni une douzaine d’artistes pour l’exposition « Je vous aime », avec la rédaction d’un manifeste qui expliquait le drame de la critique d’art : aimant l’art, on va vers les œuvres, et puis on se retrouve avec les artistes en responsabilité, qui vous demande de leur trouver une galerie, de les aimer, de les défendre. En fait, je pensais réaliser une exposition appelée « Je vous aime mais fichez moi la paix », et arrêter la critique d’art. Je trouvais que c’était émotionnellement pesant, et que je n’allais pas bien. J’avais vécu des situations un peu catastrophiques, et je me suis dit : « Je vais leur dire ‘je vous aime’, et passer à autre chose ». C’est raté.
Comment avez vous appréhendé le commissariat au début ?
Je ne me suis pas posée la question. On rencontre sans arrêt des personnages avec des oeuvres étonnantes, et on établit un tri : dans un salon de 200 artistes, seuls deux seront magiques. Quand on me demande de monter une exposition, j’ai des fiches toutes prêtes concernant les artistes, je les regarde et les relie entre elles. Ça peut être très naïf comme thème, à l’image des saisons, ou de « Je vous aime », ou bien ça peut être plus relié à l’histoire de l’art. J’ai monté des expositions sur le Nouveau Réalisme (une plus généraliste, et une consacrée aux affichistes) à la galerie Véronique Smag. Raymond Hains était encore vivant, il était venu faire une performance, ainsi que Jacques Villéglé. C’était juste au moment de la reconnaissance de Jacques Dufrêne, le dernier du groupe relativement anonyme.
Comment a débuté le cycle des saisons ?
Je m’entends très bien avec Samantha, j’aime sa sélection, et elle m’a proposé un thème au choix, en mars 2008. Un peu par boutade, j’ai proposé une exposition de « Printemps » ; nous sommes parties sur une idée du jaillissement, de la renaissance, en établissant un panel de dix jeunes artistes, avec comme seule règle qu’ils n’aient jamais mis les pieds dans cette galerie. Nous nous sommes beaucoup amusées à mélanger nos réseaux, à nous mettre d’accord, à discuter, et à les faire se rencontrer : certains ont exposés ensemble par la suite, d’autres, qu’elle défend encore aujourd’hui, sont restés à la galerie… ça a très bien marché, c’était ludique et elle a bien vendu.
Un an après elle m’a proposé de faire « Automne », et l’ambiance était totalement différente, très poétique, beaucoup plus mélancolique. Nous réfléchissons déjà à « Hiver » qui sera forcément noir et blanc, très élégant, probablement plus contemplatif. Il n’y aura plus ce premier degré de joie et de chaleur, cette envie de se déshabiller, de ne plus travailler comme dans « Île été tant » : chaleur jusqu’à la brûlure, car la galerie a quand même une identité assez expressionniste. Les œuvres sélectionnées sont lumineuses, électriques, avec aussi des productions expressionnistes comme celles d’Éric Reynier, où le personnage semble tant danser en plein soleil, qu’il y laisse sa peau.
L’expressionnisme est-il votre conception première de l’art ? Avez vous besoin d’une base tangible, ou appréciez-vous tout autant le minimalisme d’une exposition conceptuelle au Palais de Tokyo ?
Je n’ai pas de règles ; tout ce est fort, riche en imagination me plaît ; j’adore certains vidéastes, je suis une inconditionnelle de Bill Viola, et je suis tombée en amour (comme tout le monde) avec la pièce d’Anish Kappor à Monumenta. Pas besoin de discours, dès qu’on rentrait dans la pièce, il y avait une notion poétique très intense. Mais c’est vrai que cela reste des oeuvres incarnées, qui donnent à voir. J’aime que l’artiste me raconte des histoires… j’adore certains abstraits, par exemple Rothko, car il distille une vibration sensible… Si l’artiste me tend seulement un miroir, je m’ennuie, car je suis avec moi toute la journée !! C’est souvent le principe de l’art minimal : au spectateur de reconstituer ce qui l’a amené jusque là.
Les artistes que nous avons réunis se lisent à la fois au premier degré, pour quelqu’un qui veut seulement quelque chose de beau, mais ils ont tous également un rapport compliqué avec leur univers. Le champ de blé de Laurent Chabot, que nous avons choisi de mettre en avant, dit beaucoup de chose sur l’histoire du monochrome depuis son commencement, avec une tache de sang au milieu, très dérangeante.
Comment avez-vous effectué la sélection ?
J’ai essayé de panacher entre les gens que je suis depuis 20 ans, comme Hans Bouman et Laurent Chabot, et les gens que j’ai découvert récemment : Aleksandar Petrovic à Mac 2000 en 2010, Éric Reynier il y a trois ou quatre ans, Bantmann il y a deux ou trois ans, Didier Genty, et ma découverte la plus récente — Xue Sun, sortie des Beaux-Arts de Paris il y a deux ans. Pratiquement toutes les œuvres ont été conçues pour l’exposition ; à part Le champ de blé que je voulais vraiment. Ainsi Xue a conçu cette aquarelle, qui représente pour elle le soleil brûlant qui descend. Dans « Hiver », il y aura certainement des artistes que je découvrirai entre temps.
J’adore les photos de Hervé Szydlowsky ; même si ça reste un domaine très complexe pour moi, dont j’ai du mal à parler. J’apprécie, je n’arrête pas d’en regarder, mais je n’ai pas encore trouvé le bon discours. Il me fascine depuis plusieurs années ; il a sa première exposition en ce moment, (à 50 ans !) au muséum départemental de Gap. Son monde est très dérangeant, j’en ai choisi la seule part joyeuse : les naturistes. C’est vraiment un expressionniste très radical qui travaille sur la mort, sur la vieillesse, d’une manière assez incroyable.
Quels sont vos futurs projets ?
Je travaille depuis quatre ans sur un festival d’art en entreprise, en Lorraine, où quinze lieux de travail exposent un artiste différent : ça s’appelle Cop’art. Je collabore également depuis 2006 à la triennale de sculptures de Poznań (Pologne). Artension me prend beaucoup de temps : c’est un magazine d’art populaire mais qui est lu par les étudiants des Beaux-Arts au même titre que Beaux-Arts Magazine ou Art Press ; justement nous allons réfléchir prochainement sur comment rester dans une mentalité alternative, moins officielle : comment rester une tête chercheuse quand on vieillit ? Nous allons également réaliser un guide très illustré des galeries d’art, qui va sortir pour Noël.
Propos recueillis par Mathilde de Beaune
Île été tant
Du 21 juin au 23 juillet 2011
Du mardi au samedi de 11h à 13h et de 14h30 à 19h
Galerie Samatha Sellem
5, rue Jacques Callot
75006 Paris
www.galeriesellem.com
[Visuels : en haut, Clown d’Eric Reynier. En bas, aquarelle de Xue Sun]
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