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Arnaud Prinstet, peindre l’autoportrait

22 décembre 2009
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Echauffons-nous en commençant par aborder l’aspect technique et visuel de votre travail. Vous développez depuis dix ans une série d’autoportraits suffisamment homogènes pour être toujours reconnaissables, mais dont on distingue quand même les évolutions. Celles-ci apparaissent comme essentiellement formelles. Vous changez de technique picturale, d’outils… Quelle importance accordez-vous à ces changements ?

Arnaud Prinstet : Mon travail enregistre une suite de moments présents rencontrés dans le miroir. Je travaille d’un seul jet, sans retouches. Mes peintures représentent ainsi mon évolution au fil du temps, l’évolution d’une relation à soi et de la façon de se percevoir. J’évolue en tant que peintre, ma technique correspond à ce que je cherche à un moment donné de façon instinctive reliant ainsi une évolution à la fois technique et psychologique.

Baudelaire, en tant que critique d’art, s’amusait souvent à distinguer les « peintres » des « dessinateurs » lorsqu’il regardait des tableaux figuratifs qui nécessitent les deux compétences techniques. Dans votre travail, il aurait immédiatement reconnu un « peintre », c’est-à-dire un artiste de la pâte, de la texture de la peinture, moins attaché à la ligne du dessin. Ainsi, vos autoportraits interrogent, plus que les traits du visage, la texture et les couleurs de la peau. Le résultat est très matiériste. Que pouvez-vous nous dire de votre posture dans cette façon de représenter le visage ?

AP : Ce n’est pas la couleur de la peau elle-même, c’est plus la couleur de mon esprit. Je projette un état intérieur qui m’intéresse plus que l’aspect de mon visage. C’est pour ça que les travaux les plus récents me font paraître plus jeune ; ils marquent l’évolution d’un état d’esprit. Mais notons, en effet, que je suis définitivement coloriste.

A._Prinstet_en_actionVotre façon de peindre rappelle la valeur performative de votre travail que vous mettez souvent en scène en intervenant dans l’espace public. La peinture comprise comme acte est soulignée par la grande énergie de votre gestuelle. Parlez-nous de cette démarche physique et relationnelle.

AP : Je suis influencé par la peinture américaine d’après guerre qui voulait réinventer la peinture à partir de zéro. L’énergie créatrice doit se manifester autant dans la toile que dans le geste du peintre. Je pense à Jackson Pollock qui fut filmé et photographié au travail pendant qu’il peignait ses Drippings ; on comprend alors très bien son implication particulière, essentiellement gestuelle. Pour moi, l’acte  de peindre donne du sens à la peinture. Pour le public voir l’artiste au travail permet de mieux comprendre l’oeuvre. Par ce travail d’autoportrait  je peins le visage de quelqu’un qui est en train de peindre, je représente donc l’acte de création dans son essence. Il s’agit d’aller à la rencontre de tous les publics, dans cet élan de la peinture américaine, je veux donner du sens à la peinture pour une personne d’aujourd’hui. Les musées touchent surtout un public averti. Ceux que l’on qualifie de « grand public » se sentent en décalage ; c’est aussi ce public-là que je veux toucher.

Dans vos autoportraits, vous conservez un visage relativement neutre, une neutralité contredite par le choix de couleurs chaudes qui, elles, désignent des émotions fortes. Cet apparent paradoxe crée une tension qui vous est spécifique. Que voulez-vous nous en dire ?

AP : La pose n’est pas vraiment neutre. Le regard frontal représente déjà une certaine posture. Avec cette frontalité, je fais le choix d’une pose sans détour, je cherche ainsi l’authenticité. C’est la pose la plus simple et la plus directe, et la couleur exprime les émotions qui traversent ce visage. La pose est une posture de création fixée dès le départ et qui ne change jamais afin de m’abstraire de la forme pour me concentrer sur le fond : l’expérience vécue par le peintre traduite par le geste et la couleur. Bien qu’il y ait quelque chose de figuré par cette tête, je voudrais toujours rester à la frontière de l’abstraction.

En regardant vos peintures, on pourrait croire qu’il s’agit de portraits d’enfants. Le revendiquez-vous et savez-vous pourquoi vous semblez si jeune dans vos autoportraits ?

AP : L’acte de peindre marque déjà un retour vers l’enfance. L’état enfantin est le plus proche de l’état d’esprit de création dans sa forme la plus brute. En vieillissant, on se construit, on apprend et on pose des limites qui freinent la liberté créatrice. L’enfance est un état idéal, libre. Je veux me rapprocher de cet état idéal, rechercher cette spontanéité, cette fraîcheur. Dans mes autoportraits récents, mon visage ressemble de plus en plus à celui d’un enfant, une évolution qui exprime une dimension psychologique, mon inconscient s’exprime dans une forme de régression. Je me rapproche de plus en plus des zones de mon inconscient datant de l’enfance. J’ai récemment retrouvé des photos de moi petit sur lesquelles on reconnaît des expressions similaires à celles de mes autoportraits. J’en suis parfaitement inconscient en peignant, mais c’est très drôle de m’en apercevoir. D’ailleurs, on pense à Picasso qui disait qu’il lui a fallu quarante ans pour pouvoir dessiner comme un enfant.

Presque paradoxalement, dans vos autoportraits, vous cherchez à dépasser l’ego. Vous exprimez plutôt la recherche de l’identité que la représentation d’un Moi absolu. Vos toiles expriment aussi une démarche ambitieuse et obsessionnelle où l’expression de votre identité tend à interroger celle du spectateur. Quel est votre rapport au regard du spectateur ?

AP : (En riant) La réponse est dans la question ! Je me regarde dans le miroir, je m’interroge et, ce faisant, je finis par interroger le spectateur. Le tableau devient le miroir du spectateur. La frontalité de la pose et la répétition des autoportraits focalise l’attention du spectateur sur un thème et l’oblige à y entrer.

Narcisse est le mythe fondateur des arts visuels, « l’inventeur de la peinture » selon Alberti. Vous faites directement penser à lui : absorbé dans un reflet obstinément inaccessible. Que pensez-vous des possibles et des limites de l’autoportrait ?

AP : Le visage, c’est quelque chose qui touche au mystère de la personne et donc c’est impossible à délimiter, c’est toujours inaccessible. La répétition du thème de l’autoportrait est une règle forte que je me suis fixée et qui structure ma création. Au Moyen-Age et à la Renaissance les peintres créaient à travers des systèmes de règles fixés qui leur laissaient une marge de liberté très étroite et c’est ce qui leur donnait la trame à travers laquelle ils pouvaient poser un message fort. Aujourd’hui, l’artiste a une liberté totale, c’est à lui de trouver son propre système formel. Mes autoportraits sont  comme des briques d’un seul grand oeuvre, un travail pictural à l’échelle de ma vie. Et comme je suis représenté, ma création c’est aussi moi, ce que je fais de mon existence, ce que je deviens.

Personne n’a de vision directe de son visage, elle est toujours détournée, accessible seulement dans les miroirs, les représentations et le regard d’autrui. De fait, il n’existe aucune objectivité possible dans la perception de soi. L’autoportrait reste toujours une zone d’interrogation, sans conclusion possible. Avez-vous une idée de la façon dont vous allez évoluer dans ce questionnement identitaire et artistique ?

AP : Notre identité se forme dans le regard de l’autre plus que dans le miroir. Dès la petite enfance, elle se forme dans le regard des parents, puis des enseignants et de tous ceux que l’on rencontre installant un rapport de va-et-vient dans le jeu des regards. Le miroir nous renvoie une image autre, une image que l’on ne regarde pas vraiment, sauf quand on peint, là on accède à une vision très différente de nous-mêmes. Ce qui m’intéresse, c’est ce paradoxe entre l’image de nous-mêmes et celle que les autres nous renvoient et qu’on leur impose souvent. Le miroir est neutre, c’est un objet, en quelque sorte, scientifique, c’est notre regard qui le déforme ; moi je cherche la plus grande objectivité possible. Sinon, comme je travaille dans l’instant présent, j’ignore comment je vais évoluer. Mon travail évolue avec moi.

L’interview express :

arnaud_prinstetQuelles sont vos obsessions et comment nourrissent-elles votre travail ?

AP : Mon interrogation est surtout identitaire, je mène une réflexion sur la spiritualité au sens large, ce qui, dans notre nature dépasse le masque social quotidien. Finalement, mon travail parle de ça, en regardant qui je suis dans l’instant présent, je me focalise sur ce qu’il y a au-delà de ce visage.

Existe-t-il un espace qui vous inspire ?

L’espace du visage lui-même dans le cadre du miroir. Quand j’ai commencé mes études d’art, mes professeurs m’ont encouragé à trouver ce qui m’inspirait le plus. J’ai tout de suite choisi le visage parce qu’il reflète la personnalité, l’âme. C’est un espace assez large, on y rencontre vraiment la personne. C’est un espace extérieur qui mène à l’intérieur.

Quelle place tient la fuite du temps dans votre vie ?

AP : Le temps est dans le moment présent ; le temps est une suite de moments présents, c’est toujours maintenant. Le corps vieillit, mais on progresse intérieurement.

Quelle dimension tient votre travail dans votre vie et quel sens prend-t-il ?

AP : Il remplit ma vie, c’est son cœur. Il lui donne sens. Je cherche à travers lui à communiquer une profondeur, une intensité de perception, une énergie…

En quoi aimeriez-vous vous réincarner ?

AP : Je suis satisfait en ce que je suis, si je pouvais me réincarner dans la continuation de ce que je suis déjà…

[Visuel : © Arnaud Prinstet dans son atelier, photo de Cyril Cavalié]

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