Aujourd’hui – film de Alain Gomis
Entretien avec Alain Gomis
Quelle était l’envie de départ pour ce film ?
C’etait plus une obsession, une nécessité. Je ne sais pas comment est née cette idée, mais elle s’est imposée, je devais le faire… Elle correspondait sans doute à un besoin d’affronter une peur, de trouver une formulation, une façon de vivre. Je ne sais pas où s’arrête le cinéma et où commence la vie, l’un et l’autre s’aident. Mais j’avais aussi envie d’en faire un film joyeux, un film vivant, dans lequel on flotte, on voyage, un film qui fasse du bien. Un film qui se place à un endroit qui nous est commun. Un film au Sénégal, qui nous parle profondément et nous libère.
Quel est ce “voyage” que fait le personnage ?
Le film est un voyage vers le présent. Satché repasse sur les âges de sa vie, l’enfance, l’adolescence, le premier amour… Son premier voyage est un voyage vers lui-même. C’est le voyage vers la conscience de la mort, de théorique, comme elle l’est pour un enfant, elle devient concrète, angoissante… Puis il y a le second voyage celui de l’abandon; l’acceptation, le temps qui s’ouvre… C’est une allégorie, dans ce monde imaginaire où la mort vient de temps en temps chercher quelqu’un Satché a le statut du «choisi”. Tout cela est ritualisé, bien que personne ne sache pourquoi ni comment cela arrive. Mais le «choisi» a la chance de savoir, d’être débarrassé du futur, et d’accéder après avoir fini de lutter, au présent absolu, celui qui ne promet rien d’autre et s’étend à l’infini. Je crois que tout le monde a pu expérimenter ça dans sa vie, lorsque l’on est vraiment dans le présent, dans l’instant, alors le temps est suspendu,
comme aboli, c’est peut-être notre seul accès à l’infini.
Pourquoi avez-vous souhaité doubler le retour au pays de Satché de sa
mort imminente ?
C’est venu naturellement et c’est l’idée que nous sommes de toute façon étranger au monde : étranger à notre propre famille, notre propre langue, à notre propre corps. Ce sont des choses qui deviennent familières avec le temps, mais qui ne le sont pas à priori. Il arrive même qu’en passant devant un miroir on soit surpris de voir sa propre image et que l’on se dise alors : «ah oui tiens, c’est moi ça !». Selon moi l’exil est un état d’être au monde. La scène d’ouverture, le réveilquasi sceptique de Satché dans son corps vient sans doute de là.
Vous dressez aussi un portrait de la ville de Dakar
Dakar est la ville au monde que je préfère. J’y aime les gestes, les visages, les mains… Je savais qu’à chacune des étapes de la vie de Satché on irait dans un quartier différent. Une des choses que j’aime à Dakar, c’est qu’en allant de quartier en quartier, on passe d’univers en univers et qu’on traverse donc des états différents. Et puis à Dakar, le trajet est quelque chose en soi. Il est lui-même un endroit.
Pourquoi avoir fait appel à Saul Williams ?
Je crois qu’il m’a toujours été familier. Nous avons le même âge. Je l’ai découvert dans Slam, et je l’ai toujours suivi, de loin, en appréciant son indépendance, son intelligence. J’ai écrit en pensant a lui, avec sa photo pas loin. Il me paraissait avoir ce qu’un acteur ne peut pas inventer : une aura. Il a une présence rare, et quelque chose qui nous ressemble, à tous. Et puis il a un visage sénégalais.
Cela peut apparaître comme un contre-emploi car Saul Williams est un
homme de parole et de verbe. Est-ce d’en être privé qui lui donne une telle
présence ?
Le fait qu’il ne parle ni wolof, ni manjak, et peu le français, le mettait dans une position idéale finalement, parce que lorsque l’on ne comprend pas une langue on écoute autrement, on a une attention aux choses toute différente, quelque chose de profondément familier et d’étranger. Bref il se trouvait naturellement dans la position du personnage. Nous avons travaillé avec Saul pour qu’il soit une sorte de masque qui laisse la place au spectateur de s’engouffrer, entre lui et le personnage. Sa force intérieure mêlée à sa légèreté permettent ça de façon incroyable.
Avec les participations de TV5 MONDE, du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée
En partenariat avec le CNC, le Fonds de soutien Hubert Bals, du Festival International du Film de Rotterdam, L’Angoa
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Aujourd’hui
Un film de Alain Gomis
Avec Saul Williams Djolof Mbengue Anisia Uzeyman et Aïssa Maïga
Scénario Alain Gomis, Djolof Mbengue en collaboration avec Marc Wels
Durée : 1h28
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2013
– La critique du fil par Mathilde de Beaune
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