Aujourd’hui – drame d’Alain Gomis
Dakar, la ville familière, grouillante, colorée… La famille, les amis, son premier amour, les manifestations, ses aspirations… Aujourd’hui Satché doit mourir. Il a été choisi. Aujourd’hui, Satché vit comme il n’a jamais vécu.
Le premier aspect de ce film réside dans sa nature hybride : musique et cinéma, tragédie et passivité, images fictives et documentaires, notre œil occidental sur un film baigné de « négritude », parole et silence (ce qui est tu, ce qui est dit, et dans quelle langue, français et wolof alternant tout au long du film).
Satché, interprété par le célèbre musicien slammeur Saul Williams, reste mutique durant le début du film, jusqu’à ce qu’il soit contraint de parler. Face à la mort annoncée (croyance africaine selon laquelle la mort s’annonce la veille, le temps de laisser au mourant le temps de se réconcilier avec ses proches), que dire ? Lui le musicien, l’homme de parole, doit se recentrer sur ce personnage au corps étranger, au milieu d’un flot de langues qu’il maîtrise mal. C’est donc son visage qui sera le vecteur de l’action. Le détail comme héros de l’histoire.
Comme dans son films précédent, Andalucia, le personnage est lunaire, perdu, sans cesse en mouvement. Satché affronte sa famille élargie, le quartier, ses amis, une ancienne maîtresse, enfin sa femme est ses enfants, ceux qui restent après lui. Les retrouvailles sont parfois dures, violentes, floues. Il nous manque des parcelles de sa vie pour tout appréhender : sa vie qui se termine a déjà commencé à s’effriter. Parfois aussi un comique étrange surnage, comme dans la scène des officiels où Satché surgit à la fin d’une cérémonie qu’on sent guindée et décalée « à l’africaine ».
L’étrangeté principale réside bien entendu dans cette acceptation globale, cette passivité face à la mort : le héros ne s’insurge pas, ne trépigne pas ; il a fait son temps et doit l’accepter. Ainsi de la scène ou Satché rencontre son oncle, l’équivalent de notre croque-mort, avec qui il pratique une étrange répétition de son état de cadavre. Lavé, massé, manipulé, le personnage se laisse enfin aller intérieurement à une résignation totale et apaisée qui donne sens. La mort prend sa place.
Le film culmine avec la scène d’intimité avec sa femme et ses enfants, étrange confrontation silencieuse et joyeuse, où chacun tait ses vélléités, tandis que la rage sourd lentement des silences.
De manière générale, Alain Gomis nous met à l’épreuve : « Selon moi l’exil est un état d’être au monde ». Ce film, conçu comme un happening (Saul Williams a donné une série de ciné-concerts pour habiller musicalement l’oeuvre en direct) sera donc vécu comme un abandon aux mains du réalisateur, ou dans un rejet total. On ne peut en aucun cas lui dénier cette volonté de recréer un format et de proposer au spectateur une expérience nouvelle.
Mathilde de Beaune
Journées cinématographiques de Carthage 2012 (du 16 au 24 novembre)
- 1 prix : Prix spécial du jury Alain Gomis
Rencontres Cinématographiques de la Seine-Saint-Denis 2012 (du 15 au 25 novembre)
- Film d’ouverture
Cinessonne – Festival du Cinéma Européen en Essonne 2012 (du 13 au 25 novembre)
- Sélection officielle
Festival International du Film de la Roche-sur-Yon 2012 (du 13 au 23 octobre)
- Compétition internationale
Festival International du Film Francophone de Namur 2012 (du 28 septembre au 5 octobre)
- Sélection officielle
Festival International de Contis 2012 (du 31 mai au 4 juin)
- Avant-premières
Berlinale 2012 (du 9 au 19 février)
- Sélection officielle
Aujourd’hui
D’Alain Gomis
Avec Saul Williams, Djolof Mbengue, Anisia Uzeyman, Aïssa Maïga et Thierno Ndiaye Doss
Durée : 88 min.
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