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“William Forsythe – Johan Inger” : un bouquet de splendeurs au Palais Garnier

Hélène Kuttner 5 octobre 2024
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© Agathe Poupeney

Sur un programme réalisé par José Martinez, directeur de l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, les chorégraphes William Forsythe, Johan Inger et My’Kal Stromile proposent de petites pièces somptueusement écrites sur des partitions musicales épatantes. Les danseurs du corps de ballet y déploient leur technique unique, se mouvant de manière virtuose dans une mosaïque de genres, entre tradition classique et modernité. À savourer d’urgence.

La splendeur Forsythe

© Ann Ray / OnP

Inutile de présenter William Forsythe, le chorégraphe américain vivant le plus apprécié en Europe. Depuis les années 80, cet artiste impressionnant ne cesse de faire des allers et retours entre New-York, Londres, Francfort et Paris. C’est en 2016, à l’Opéra de Paris, qu’a été créé Blake Works I, un ballet somptueux en forme d’immersion totale dans la musique hypnotique de James Blake, un musicien britannique aux multiples talents et à la voix divine. Aujourd’hui, le ballet est recréé avec une précision démoniaque : des corolles de danseurs en justaucorps bleu azur enchaînent des postures classiques qui se déstructurent subtilement en déhanchés successifs, apparaissant et disparaissant par grappes, selon les différents morceaux musicaux. Par les échanges des interprètes, leurs variations en forme de fugues inédites, la chorégraphie qui colle aux sons multiplie les décalages et les ruptures, en une mathématique gracieuse et entêtante.

“Rearray” version 2024

© Ann Ray / OnP

Créé à l’origine pour Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche pour le Sadler’s Wells Theatre en 201, le ballet a été remodelé par le chorégraphe aujourd’hui pour un trio de danseurs. Ludmila Pagliero ou Roxane Stojanov, aux côtés de Takeru Coste et de Loup Marcault-Derouard, composent ce trio énigmatique, à la virtuosité magnétique, happé par une composition dissonante signée David Morrow. Stridente parfois, dérangeante, la musique fait apparaître les corps tels des pantins mobiles et désarticulés. L’influence du classicisme les happe vers le haut, le moderne jazz les pousse vers le sol, en une rythmique animale et sauvage. C’est puissant et beau à la fois, les interprètes sont dirigés et dansent selon des figures à la sophistication élaborée, d’une pureté parfaite, entre lumières et ténèbres. Le trio de danseurs semble s’épier, se déchirer puis se réconcilier, comme des fleurs carnivores et vénéneuses, en un mélange complet de classicisme et de modernité.

“Impasse”, une splendide entrée au répertoire

Johan Inger est un chorégraphe suédois qui entre au répertoire de l’Opéra de Paris avec cette œuvre à l’énergie incroyable, cette pièce de danse et de théâtre qui fait exploser tous les genres mais qui raconte des histoires bouleversantes. Dans un décor totalement noir, la silhouette géométrique et lumineuse d’une maison se dessine en fond de scène. Une femme s’échappe par la porte, puis un homme. Sont-ils un couple ? En tous les cas, la musique d’Ibrahim Maalouf et d’Amos Ben-Tal agit comme un filtre magique, démultipliant ses pistes, orient, jazz, organique ou mambo. Un troisième homme débarque, ami ou amant ? Ces trois là nous racontent l’histoire du monde, Adam et Eve et consorts, au fil d’un drôle de suspense.

© Agathe Poupeney

C’est qu’ils vont très vite être rejoints, envahis, submergés par une faune criarde et bruyante de personnages grotesques et clownesques. Une comédie musicale déboule avec des danseurs survoltés par une énergie de feu. Impasse raconte l’histoire de nos vies, de notre désir jamais rassasié, de nos rencontres et de nos fantasmes. La fin est d’une beauté saisissante, poignante mais jamais triste, alors que le volume de la maison se rétrécit considérablement, comme si la vie s’enfuyait. La danse ici se tente de drôlerie et d’humour, avec des figures iconoclastes, un jeu de formes qui pulvérise les corps en un mouvement vivant, organique. Les trompettes d’Ibrahim Maalouf font flotter les jambes et les bras des personnages, tels de grands oiseaux migrateurs qui cherchent où se poser, les visages grimés dessinent des tableaux vivants. Il y a dans cet opus une énergie vibrante, une vitalité et une présence scénique des danseurs tout à fait particulière et remarquable.

Word for world

© Agathe Poupeney

C’est une création qui n’est présentée que lors de quelques représentations, après le sublime défilé du ballet, mais la qualité surprenante de cet opus force le respect. Elle est signée d’un jeune chorégraphe très influencé par Forsythe, My’Kal Stromile, qui dessine un court ballet tout en tension, revisitant les figures de la danse classique française, mais en brouillant les codes pour ménager au spectateur un effet de surprise. Dans des costumes conçus par Chanel, tutus en voile chair qui dessine un voile lunaire, gilets noir brodés d’or, les jeunes danseurs saluent la tradition en y insufflant un joyeux et tonique vent de liberté et de fantaisie. Ce programme est un vrai bonheur.

Hélène Kuttner 

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