“Vive la vie”, quand l’opéra danse les bouleversements du XXe siècle
La compagnie helvète Interface investit le théâtre de la Gaîté-Montparnasse, pour sa première présence prolongée à Paris. C’est enfin l’occasion de découvrir leur style unique, où se mélangent danse, théâtre et chant lyrique. Vive la vie retrace l’évolution des liens familiaux au XXe siècle, au fil des bouleversements politiques et industriels.
“Je suis passé chez les Favre aujourd’hui. Le vieux a pris l’abonnement à l’électricité la semaine passée. Ils ont une ampoule qui donne tellement de lumière dans l’atelier qu’ils peuvent y travailler toute la nuit !” C’est l’an 1900, dans un village suisse. L’excitation du fils face à la nouveauté et au progrès résume le thème de Vive la vie, dans sa poésie et son espérance. Chaque tableau du spectacle donne à voir et à entendre la rencontre de l’ancien et du nouveau, créant le conflit entre deux générations, au cours d’une traversée du XXe siècle en six étapes, de 1900 à 2000. Le monde change, les conflits restent. Ainsi va la vie…
Leurs spectacles se créent face à la montagne
La compagnie Interface est un ovni dans le paysage chorégraphique. C’est dans la montagne suisse, à Sion, qu’elle crée ses messes sentimentales, où la danse, le chant lyrique et le théâtre sont indissociables. La montagne rend humble, explique André Pignat. Mais elle émeut aussi. Profondément. Ils ont à Sion leur propre salle de spectacles, face aux cimes, et ils l’ont appelée Balcon du ciel ! L’air doit y être si clair et pur que l’écriture de leurs scénarios va droit à ce qui est fondamental dans notre existence : la vie, la mort, l’amour, les relations et la passion.
Conflits de générations
Contrairement à la généralité de son titre, Vive la vie a un sujet clairement défini et une trame structurée. L’arrivée de l’électricité et de l’eau courante est suivie de l’industrialisation, de la construction de barrages, de l’arrivée de l’économie capitaliste, du tourisme… Et finalement, le fils vivant dans le monde actuel cherche le retour au rapport direct avec la nature : “Tu sais, j’ai un pote en Espagne, il a des poules, quelques chèvres, des panneaux solaires pour l’énergie… Il est complètement autonome, il doit rien à personne…” À quoi le père répond : “C’est ça ton rêve ? Vivre tout seul ? Sans confort ? Tu sais, ton grand-père il a bossé sur les barrages… Il croyait au progrès, à un avenir meilleur pour nous… Et toi, tu voudrais revenir en arrière ? C’est plus possible ça, mon grand !”
Danse, théâtre, chant, musique et jonglage !
Le metteur en scène, André Pignat, compose également la musique du spectacle (en partie), à la densité fulgurante, comme un torrent d’eau dans la montagne. Les chorégraphies de Géraldine Lonfat donnent vie à la communauté. Elles transportent les interprètes comme le public, par un lien immédiat entre le corps et les émotions. Et les dialogues écrits par Thomas Laubacher sont d’une poésie renversante. S’y ajoute cette fois un jongleur, avec sa présence discrète, fine, fluide et intrigante, au centre ou en arrière-plan, telle une incarnation du temps et du lien entre les humains.
Succès mondial
Pourquoi alors Interface est-elle un ovni ? Tout simplement parce que les créations de cette troupe partent toujours de l’émotion. C’est ce qui leur a permis de remporter le Prix du public du Off au Festival d’Avignon, c’est ce qui les amène à partir en tournée dans le monde entier. Les déluges émotionnels et sonores d’Interface sont ce qu’on appelle des spectacles grand public. Uniques et universels à la fois. Vive la vie a déjà été donné à Shanghai, au Caire, à Amman, en Italie, en Tunisie, en Roumanie… “Partout dans le monde, les gens nous disent que nous racontons leur histoire. L’Opéra du Caire va même créer sa propre version”, dit Pignat. Ils sont enfin à Paris, pour la première fois sur la durée et dans une grande salle. Comme quoi, on n’arrête pas le progrès…
Thomas Hahn
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