“Violet” : un opéra contemporain fulgurant au Théâtre de l’Aquarium
Un couple pris dans la tourmente d’un temps qui se dérègle, la richesse d’une écriture musicale influencée par le compositeur Georges Benjamin, alliée à la force d’un livret moderne, le talent des chanteurs et des musiciens présents sur le plateau, autant d’éléments qui contribuent à la réussite de cette production française du premier opéra du compositeur Tom Coult, dans une mise en scène de Jacques Osinski. A découvrir d’urgence.
Un fabuleuse aventure
Voici une belle aventure qui risque de ne pas s’arrêter tout de suite. Tom Coult, un jeune compositeur anglais de 35 ans, vient de créer à Londres son premier opéra avec la collaboration de la dramaturge et scénariste Alice Birch (Orlando au Théâtre de l’Odéon en 2019). L’histoire, inspirée de la nouvelle Le Diable dans le beffroi d’Edgar Allan Poe, se déroule dans la cuisine d’un couple de trentenaires sans enfant. Violet, l’héroïne, sourit victorieusement, dans un éclat de rage face à son mari Félix abasourdi par cette violence soudaine : le temps a raccourci sa durée, chaque jour perd ainsi une heure et l’horloge, suspendue au mur, semble annoncer la fin du monde. Cette soudaine angoisse de finitude provoque au contraire chez Violet la plus satanique des satisfactions. Enfin libérée de la servitude d’une routine envahissante, la jeune femme trouve dans cet événement une nouvelle liberté qui va l’autoriser à s’évader.
Une production française
Le metteur en scène Jacques Osinski, qui vient de recevoir du Syndicat de la Critique le Prix Laurent Terzieff pour Fin de partie de Beckett, s’est entouré d’une fine équipe pour mettre en scène ce livret et le présenter dans le cadre du Festival Théâtre et musique Bruit au Théâtre de l’Aquarium. La jeune cheffe d’orchestre Bianca Chillemi, bonne connaisseuse du répertoire de Ligeti et de Benjamin, dirige avec précision son ensemble Maja avec treize musiciens placés subtilement derrière les chanteurs, visibles à travers la trame brumeuse d’un rideau de voile. Le percussionniste, entouré d’une armada d’instruments traditionnels ou contemporains, au visuel cocasse, est l’ordonnateur d’un temps qui fait claquer la cloche du réel, entre la vie et la mort.
Entre réel et fantastique
Entrelacé à cette partition organique, qui nous saisit du mystère et de l’effroi que l’on retrouve chez les symbolistes comme Maeterlinck, l’apport électronique nous projette dans un cinéma aux limites du réel. Il faut saluer la scénographie fluide et légère de Yann Chapotel qui permet à l’histoire de laisser planer suppositions, doutes et fantasmes pour le spectateur grâce à des interprètes de grande qualité. Dans le rôle titre, la soprano Juliette Allen incarne avec une puissance étonnante le personnage d’une femme qui devient libre, timbre aux aigus flamboyants et matures, aux côtés de Natalie Pérez, plus effacée mais très juste, qui campe la servante. Face à deux femmes, placées de manière parfaitement symétriques autour de la longue table rectangulaire, le baryton-basse Olivier Gourdy est formidable de supériorité bafouée, tout en tension, et Manuel Nuñez Camelino campe l’horloger du temps dont la pendule s’emballe, noyant son désespoir dans le whisky. Une réussite.
Hélène Kuttner
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