Valentin de Carbonnières, un comédien passionné et exigeant : “Je veux surprendre, donner du bonheur”
Voir jouer Valentin de Carbonnières, c’est forcément penser à ces mots de Victor Hugo dans Hernani : “Je suis une force qui va !”. Depuis qu’il a choisi sa voie, ce comédien de trente-cinq ans n’a pas perdu son temps : deux écoles de théâtre avant le Conservatoire National, des rôles à la télé et surtout, les plus belles scènes, dans le public et dans le privé.
Le Théâtre Edouard VII l’accueille à deux reprises avec Nina et Le vent dans les branches de sassafras en compagnie de François Berléand, avant de jouer le rôle titre dans Le portrait de Dorian Gray adapté par Thomas Le Douarec. 2019 sera l’année de la récompense avec le Molière de la révélation masculine pour Sept morts sur ordonnance au théâtre Hébertot où, il y a encore quelques semaines, il partageait l’affiche avec Francis Huster dans Transmission de Bill C. Davis.
Comment est arrivée la proposition de jouer Mark Dolson dans Transmission ?
Suite au Molière, Francis Huster a parlé de moi au metteur en scène, Steve Suissa. Dans le même temps l’équipe a organisé un important casting. Tout s’est très bien passé, notre contact, à l’image du travail qui a suivi, très humain mais aussi très direct, m’a rappelé ma rencontre avec Richard Berry, mon metteur en scène dans L’Ordre des choses de Marc Fayet. La décision a été prise rapidement, il a ensuite fallu que je m’adapte, nous avons eu peu de temps pour nous synchroniser, ce qui a généré un peu de tension et de fièvre, toutes choses profitables à la pièce.
Lorsque l’on a eu le plaisir de voir vos précédentes prestations et pu apprécier votre façon d’être à l’aise sur scène, l’on imagine qu’être seul face à Francis Huster n’a pas dû vous impressionner !
Pas du tout ! Je n’ai pas l’habitude de me laisser facilement déstabiliser. Ceci dit, tout le monde t’en parle, donc tu es obligé de ressentir, si tant est que tu puisses oublier, que tu es bien face à un monstre sacré du théâtre !
2009, sorti du Conservatoire et 2019, Molière : les choses ne sont-elles pas allées trop vite ?
Pour ma part, ne prenant pas le Molière pour une consécration, je répondrais non ! Comme le Conservatoire, c’est un pass, un visa sur le passeport de résident au pays de la culture qui montre que l’on sait ce que tu fais et que ce travail est apprécié.
Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Je suis toujours très dur avec moi même. Mes deux parents sont comédiens, ils m’ont eu quand ils étaient en troisième année au Conservatoire National. Quand je suis arrivé au sein de ce même Conservatoire, il y avait en classe de masque, Mario Gonzalez qui m’a vu naître et qui, le premier jour, devant tout le monde, me lance (Valentin prend un irrésistible accent espagnol, ndlr) “Valentin de Carbonnières, je t’ai vu tu étais tout petit, j’ai travaillé avec ton père beaucoup !”. À côté, je sentais que les autres élèves se disaient : “Mais c’est qui ce connard, on va le buter !”. À cause de cela, il m’a fallu trouver ma légitimité, l’acteur que j’étais. C’était difficile et cette dureté je l’ai gardée. Je suis intransigeant avec ce que je fais, j’ai le souci de ne jamais prendre la grosse tête, d’avoir toujours à l’esprit la fameuse phrase de Boileau : “Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage”. Les artistes sont besogneux, je travaille comme un petit artisan. Un grand directeur de théâtre m’a dit un jour : “Je conçois mon travail comme un ébéniste : une pièce pour moi, c’est comme construire une chaise, le meilleur moment c’est quand je m’assois sur cette chaise qui a fait son office, que le public est parti heureux et que je bois ma bière !”. Il faut faire, refaire continuellement, trouver de nouvelles façons de travailler. Et pour revenir à la question précédente, je n’ai pas l’impression que cela aille trop vite parce que j’ai une vraie gourmandise à jouer une pièce, tourner un film et je ne suis jamais content de moi !
Cette passion, car il s’agit bien de cela, est venue progressivement, au début, vous vouliez être archéologue, je crois ?
C’est vrai ! Adolescent, en observant mes parents, je ne voulais surtout pas être comme eux, à fleur de peau tout le temps, être chiant, parler de la vie comme si c’était un roman ! J’ai commencé à travaillé à seize ans dans le BTP, j’ai fait les marchés. J’ai appris à me débrouiller.
C’est de là que vient votre force ?
C’est de là que vient le côté brut de décoffrage, un peu besogneux, certainement !
En vous voyant jouer l’on ressent beaucoup de choses, mais certainement pas un côté besogneux ! L’on découvre un comédien avec une force incroyable. Où sont vos failles ?
Comme je le disais, cette peur de ne pas être à la hauteur, notamment de ce Molière. Les gens viennent te voir et tu sens le côté, “Vas-y, fais-moi rêver !”. De fait, je veux surprendre, donner du bonheur, si je vois dans l’assistance des regards troublés, je suis heureux, je me dis que j’ai gagné. Quand j’entends les gens applaudir poliment et partir vite, j’y pense toute la nuit et je me demande ce que j’ai raté !
Ça ne se soigne pas ?
Non (rires)… ! C’est juste atténué par l’amour que te donnent tes proches, ton enfant, ta femme, tes parents qui te disent : “On t’aime, calme-toi, tout va bien !”. Mais je crois avoir ce que l’on appelle un énorme besoin d’amour. C’est un besoin constant : “Dis-moi que je suis bien !”.
Revenons à votre parcours : par quoi avez-vous été le plus marqué ?
Il y a des aventures qui vous mettent en position de déséquilibre, avec beaucoup de doutes et j’aime beaucoup ! Dans le travail, il a toujours un moment où je me sens très mal, quand je n’ai pas atteint l’objectif. J’ai fait des spectacles où j’ai eu plus de mal à percevoir quelle était ma place, je pense à L’Avenir, seulement, assez incroyable, que j’ai fait en sortant du Conservatoire, avec 388 scènes autour des lettres de Rosa Luxembourg, cette révolutionnaire qui a failli renverser le pouvoir juste après la Première guerre en Allemagne. Le spectacle devait changer tous les soirs. Les acteurs étaient décideurs des thèmes abordés, des personnages joués avec de la danse contemporaine autour de danseurs de William Forsythe. C’était superbe, il fallait dire les textes, danser sur des tableaux inspirés de van Dyck mais j’ai souffert. En prime, on faisait de longues séances de yoga (cela a duré neuf mois) ce qui a changé mon physique et ma réflexion sur le rapport au corps.
Pour vous répondre plus globalement, tout ce que j’ai été amené à faire a été intéressant, enrichissant, en termes de rencontres notamment. J’ai appris à me réguler, à ne pas me mettre en jeu tout le temps, à gérer le travail avec des stars. À ce sujet, je pense à ce que m’a apporté François Berléand, capable de donner toute son intensité à un personnage avec autant de force que de subtilité ou encore Thomas Condemine qui m’a mis en scène dans Hetero au Théâtre du Rond-Point. J’ai pu aussi me légitimer, c’est comme ça que je suis parti au Japon faire une thèse après quoi j’ai écrit une pièce La Boucherie rythmique arrivée en finale d’un concours du Théâtre 13. Une expérience qui a changé ma vision de la vie et du théâtre. Parmi les choses marquantes, je dois bien sûr mentionner Miss Nina Simone jouée avec Jina Djemba (dans une super mise en scène d’Anne Bouvier) qui m’a apporté un surcroît de confiance en moi et que je reprendrais d’ailleurs, dés que possible.
Votre famille c’est votre repère, votre point d’équilibre ?
Le matin j’amène ma fille à la crèche, c’est mon meilleur moment. Je travaille toute la journée. J’ai la chance d’avoir une compagne exceptionnelle qui est dans un tout autre domaine que le mien. C’est important que l’on soit dans une vraie égalité des taches et une indépendance professionnelle et affective. On s’aime sans être dans le chantage affectif ou la jalousie. On est heureux quand l’autre est heureux ! J’aime bien cette phrase dite par Mark Dolson dans Transmission : “J’ai découvert que la constance devait venir de moi”. En d’autres termes, je décide en mon âme et conscience parce que je sais que c’est le bon engagement et je m’y tiens. Si tu ne crois pas en toi, tu ne pourras jamais croire en personne ! Et je crois totalement dans ma copine. Avec ma fille, ce sont mes deux femmes et je passe mon temps libre avec elles.
Après cette déclaration d’amour, revenons au travail : si vous aviez en face de vous un grand metteur en scène qui vous propose de choisir votre pièce, quelle serait votre réponse ?
(Moment de réflexion, ndlr)
Bonne et difficile question. J’ai tellement de pièces dans la tête. Il faut choisir, ce qui met en exergue mon indécision !
Pour votre copine, le choix a été plus rapide ?
(Rires)
C’est elle qui m’a choisi et qui m’a dit : “Tu seras avec moi”. J’ai juste répondu “Oui” ! Pour vous répondre, j’ai lu Mathilde, une pièce d’un jeune auteur contemporain, Geoffrey Dahm qui a décrochée le prix du Centre National du Théâtre et j’aimerai beaucoup la mettre en scène. Jouer dans L’Opéra de quatre sous est aussi un rêve. Et il y a des gens avec qui j’aimerai énormément travailler comme Julien Gosselin ou Léo Karmann qui a fait La dernière vie de Simon pour qui j’ai eu un incroyable coup de foudre. Enfin, je dois citer le jeune auteur, Quentin Laugier avec qui j’ai collaboré pour sa première pièce Les 400 coups de pédale, le comédien Jérémie Lippmann et le metteur en scène et scénographe, directeur du Théâtre de Gennevilliers, Daniel Jeanneteau. J’ai, par ailleurs, très envie d’une forme seule, en rapport avec la poésie qui m’importe beaucoup. J’ai une énorme affection pour Paul Éluard et j’aimerai beaucoup créer quelque chose autour de Poésie ininterrompue projet sur lequel j’essaie de fédérer quelques artistes, musiciens notamment.
Vous êtes très présent au théâtre. Le cinéma vous attire ?
Oui beaucoup mais ce sont deux univers bien différents et les passerelles entre les deux ne sont pas toujours si nombreuses. Au théâtre, on vit ce stress permanent de toujours tout recommencer, de devoir être au top tous les soirs, de se demander si le public va aimer. Le cinéma, en comparaison, c’est une économie extraordinaire pour l’acteur, au sens où, le film fait, tu es visible tout le temps, n’importe où. En termes de placement de produit, il n’y a pas mieux. J’utilise ce mot car finalement, c’est un peu ma définition, je suis tout à la fois le produit, le financier, le distributeur, le directeur marketing. Un comédien est une PME à lui tout seul ! Après tout ce que je viens de dire, je dois tout de même ajouter que je suis très heureux de ce que je fais, de comment je le fais, de mon couple. L’envie de toujours faire mieux et plus ne m’empêche nullement d’apprécier ce que je vis !
Propos recueillis par Philippe Escalier
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