Une trop bruyante solitude au Théâtre de Belleville
Une trop bruyante solitude Texte de Bohumil Hrabal Adaptation et mise en scène de Laurent Fréchuret Traduction Anne-Marie Ducreux-Palenicek © Editions Robert Laffont Jeu et collaboration artistique Thierry Gibault Jusqu’au 29 mars 2016 Plein tarif : 25€ Réservations en ligne ou par tél. au Durée : 1h05 Théâtre de Belleville |
Jusqu’au 29 mars 2016
Bohumil Hrabal (1914–1997) possède sa racine slave : Hrabal signifie « celui qui a balayé », « celui qui a ramassé, qui a amassé ». Ce patronyme lui va bien, lui qui demeure avec Milan Kundera l’un des plus importants écrivains tchèques de la seconde moitié du XXe siècle. Il est le chroniqueur des petites choses de la vie, jusqu’aux faits des plus tragiques, qu’il recense et magnifie comme Hanta, son personnage de fond de cave. Depuis trente-cinq ans, M. Hanta alimente la grosse presse à broyer des papiers, des cartons et des tonnes de livres d’une usine de recyclage. Ce sont les livres que la Censure interdit. « C’est la vie et c’est comme ça » pense Hanta qui cependant arrache à la destruction des centaines d’œuvres condamnées pour les emporter dans ce qu’on soupçonne être un morceau de chez lui, précaire, dans Prague, qui sent la bière comme il en boit sans discontinuer. S’est-il donné pour mission de sauver jusqu’à deux tonnes de ces livres interdits qu’il accumule comme il peut au-dessus de son lit ? Hanta nous dit qu’il s’agit là d’un « massacre d’innocents ! ». Diffusé d’abord en 1976 à Prague sous forme de publication clandestine, ce texte, traduit dans plus d’une dizaine de langues, nous montre l’absurdité à la fois tragique et comique tant du non-vécu quotidien que de l’enfermement des esprits. Une trop bruyante solitude dénonce la « normalisation », cette machine à broyer l’esprit, dont Hrabal fut lui-même la victime après l’intervention soviétique de 1968 quand deux de ses livres furent pilonnés. Après des études de droit à Prague, Bohumil Hrabal a exercé bien des métiers : clerc de notaire, magasinier, cheminot, courtier d’assurances, ouvrier aux aciéries, emballeur de vieux papiers, figurant de théâtre… Pendant ces années, il écrit. C’est dans la première partie des années soixante que Hrabal se révèle comme une personnalité majeure de la nouvelle prose tchèque. Ecrivain étroitement surveillé par le régime communiste, dictature établie si longtemps en Tchécoslovaquie (42 ans, de 1948 à 1990), il échappait à ses censeurs par la dérision. Et il rendait son exil intérieur bruyant, sa solitude tonitruante…comme une trop bruyante solitude. Thierry Gibault adopte un jeu volontairement figé sur sa palette de bois d’où cet ouvrier amoureux de son petit métier se raconte comme écrasé par son destin. On souffre avec lui quand il lutte contre une indigestion de livres pilonnés par centaines. Il est poignant et apporte l’intensité émotionnelle qu’il fallait à l’œuvre de B.Hrabal. Le comédien fait peser sur la scène du théâtre toute la détresse humaine d’un peuple dominé et s’impose en témoin impressionnant qui contemple impuissant, l’autodafé que la dictature impose. Ici, on ne les incendiera pas (Fahrenheit 451- Ray Bradbury 1951 et F Truffaut 1966), on les écrasera aupilon de l’infamie. Thierry Gibault est le mineur de fond, il ouvre de grands yeux ronds sur ce qui s’impose à lui comme une détermination. Malgré la violence d’un contremaître obtus, il sauvera cette partie de l’humanité. Se noiera-t-il pour autant dans la masse des œuvres détruites ? semble interroger le comédien qui nous amène doucement vers ce que l’auteur de ‘Comme une trop bruyante solitude’ a transformé en sacrifice de l’intelligence contre la bestialité. Alors, il avancera doucement dans l’antre des œuvres disparues, comme les hérétiques allaient dans les flammes en chantant. Patrick DuCome [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=jNxzJGmux9I[/embedyt]
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