Une “Médée” peu convaincante à la Comédie Française
La jeune artiste Lisaboa Houbrechts monte une Médée qui manque de magie et de rage dans une scénographie très esthétique. Pour cette entrée au répertoire, Séphora Pondi porte le rôle avec une belle présence mais le spectacle glisse sur son sujet avec trop de douceur alors qu’on en attendrait de la gêne ou de l’effroi.
« La rage commande à ma volonté »
Bakary Sangaré, en tunique couleur de terre, reste prostré sur le sol. Le comédien interprète la Nourrice, dévastée par la décision de Jason, le mari de Médée, de la répudier pour se remarier avec Créüse, la fille de Créon, le roi de Corinthe. La face de la terre est sombre et Médée, s’extrayant d’un chapiteau bleu comme la nuit, hurle sa douleur. Séphora Pondi, vêtue d’une jupe en lamé scintillante, un gros cœur rouge accroché à la poitrine, porte en elle toute la douleur du monde. Le temps s’est arrêté, les frontières abolies. La magicienne fille d’Æétes, roi de Colchide et de l’océanide Idyie, qui permit à son amant Jason, grâce à ses sorciers secrets, de s’emparer de la Toison d’or, a plus d’un crime à son actif pour arriver à ses objectifs. Mais aujourd’hui le deuil est dans son cœur, car Jason l’abandonne, le Roi Créon la chasse et les Chœurs de jeunes filles, de Colchide, de Corinthe et d’Athènes, ne peuvent alléger sa peine.
La langue directe d’Euripide
Dans la belle traduction de Florence Dupont, la pièce d’Euripide, adaptée par Lisaboa Houbrechts, déploie avec rudesse et simplicité son intelligente violence. La psychologie que l’auteur antique prête à ses personnages est d’une évidence, d’un bon sens lumineux. Jason abandonne de manière éhontée sa femme, lui laissant leurs jeunes enfants. Médée fulmine de rage et travaille à sa vengeance. Mais elle est magicienne, et ses actes, d’une puissance effrayante, vont dépasser toutes les bornes de la morale. Non seulement elle offre à Créüse, la femme qui lui succède, une robe empoisonnée, mais elle tue ses propres enfants pour liquider le fruit de l’amour que Jason et elle ont partagé. Après cela, elle peut quitter le royaume avec cette terrible signature. C’est une femme trompée, humiliée, enragée, qui commet cet acte hors-norme. Est-ce en raison d’une scénographie trop esthétique qui multiplie les belles images avec des lumières sculpturales ? Ou de la création musicale, symphonique et riche, qui adoucit l’âpreté du propos ? Le sens du tragique échappe, et la catharsis ne peut intervenir. Pourquoi faire jouer Jason par Suliane Brahim, par ailleurs remarquable comédienne ? Le héros ambitieux et séducteur, profiteur et lâche, ne parait plus avoir aucune animosité envers Médée. L’électricité antagoniste entre Jason et Médée se mue en une relation à la complicité ambivalente qui interroge.
Comédiens solides
Comme toujours, les comédiens de la troupe font de leur mieux. Didier Sandre, superbe dans son costume blanc, est un Créon qui porte haut son autorité. Marina Hands et Elissa Alloula représentent dignement le peuple de Colchide et de Corinthe, ainsi que Serge Bagdassarian. On ne voit pas les enfants, simplement figurés par des vêtements suspendus par dizaines sur des fils traversant toute la hauteur de la scène ainsi que par des ballons de baudruche noirs qui explosent. Ces images de meurtre sans présence charnelle nous saisissent. Mais l’émotion reste trop fugace et c’est bien dommage dans cette création que l’on attendait avec ferveur. Il est parfois difficile de s’attaquer à un personnage mythique et à trop chercher l’originalité on risque de s’éloigner du propos initial.
Hélène Kuttner
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