Un Tramway nommé désir – Comédie-Française
Car ce Tramway regorge de trouvailles scénographiques extrêmement inventives : construit suivant une esthétique “d’orientalisme japonais” revendiquée par le metteur en scène américain Lee Breuer, cette production accumule estampes japonaises, qui suggèrent l’histoire plus qu’elles ne l’illustrent (et à ce titre, la scène de la partie de poker, où les cartes sont représentées par des panneaux abstraites placés derrière les joueurs, est remarquable), des kurogo, petits personnages vêtus de noir, issus du kabuki, dont le rôle est d’assister les comédiens pendant la pièce en leur tendant les divers accessoires dont ils ont besoin, ainsi que magnifiques tenues d’inspiration japonaises, toutes portées par Blanche DuBois (jouée par Anne Kessler). Judicieuse idée que celle d’associer cette esthétique orientale à la sophistication forcenée de Blanche, mais hélas, le tout ne prend pas.
“Il faut être un habitant du Sud décadent pour comprendre les Japonais” : c’est par cette citation de Tennessee Williams, tirée d’un entretien du dramaturge avec Edward R. Murrow, que Breuer justifie ces choix. Si l’idée ne manque pas d’originalité, elle se fourvoie cependant, et c’est fort dommage, dans une esthétisation qui oblige l’ensemble de la production à rester sur la surface, s’attachant trop à la superficialité d’une mise en scène qui se regarde elle-même sans jamais sonder les âmes torturées que sont pourtant les magnifiques personnages de Tennessee Williams. D’autant plus que l’ambiance Nouvelle-Orléans n’est pas complètement abandonnée au profit de l’atmosphère japonaise, et paraît ainsi surfaite, comme si Breuer avait eu peur d’aller au bout de sa vision.
Vision plus ou moins soutenue avec crédibilité par les comédiens, qui ne semblent pas toujours adhérer aux choix de leur metteur en scène. Anne Kessler excelle à jouer la Blanche en représentation, celle qui surjoue pour tenter de dissimuler ses fêlures – elle peine cependant à dévoiler la Blanche fragile, celle qui doit pouvoir émouvoir le public malgré ses simagrées. La plus grande déception, cependant, c’est un Eric Ruf en Stanley bravache, trop homme du monde pour que résonne avec justesse sa nature bestiale, animale, celle qui rend Stella folle d’amour et Blanche folle tout court. Sa transformation en Joker de Batman, dans les hallucinations de Blanche, a sans doute pour fonction de montrer la nature manipulative de Stanley alors qu’il pousse sa belle-soeur vers la folie : mais cette association d’idées inattendue finit de discréditer Stanley, alors que ce symbole d’une force vitale incontrôlable se mue en histrion hilare issu de comics.
Si cette production est esthétiquement splendide, chaque scène devenant un tableau à part entière, elle manque tout d’abord de liant, mais surtout de vie et d’animalité : on ne peut que saluer les trouvailles visuelles de Lee Breuer, qui font surgir magie et enchantement de ce Tramway – mais on regrette de ne pas y trouver la sensualité déviante, la brûlante folie qui font de cette pièce le symbole du théâtre de Williams, fervent pourvoyeur des faux-semblants et de l’hyocrisie fermement attachés à la vision de la société sudiste véhiculée dans ses pièces.
Audrey Chaix
enjoy the theatre
© Cosimo Mirco Magliocca
Un Tramway nommé désir
De Tennessee Williams
Traduction : Jean-Michel Déprats
Mise en scène : Lee Breuer
Avec Anne Kessler, Éric Ruf, Françoise Gillard, Christian Gonon, Lépnie Simaga, Bakary Sangaré, Grégory Gadebois, Stéphane Varupenne…
Du 5 février au 2 juin 2011
Salle Richelieu en alternance (consulter le site)
Réservations au 0825 10 1680 ou sur le site du théâtre
Tarifs : de 5 à 37€
Comédie Française – Salle Richelieu
Place Colette
75001 Paris
Métro Palais Royal – Musée du Louvre
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