“Un président ne devrait pas dire ça”, quand un ancien président de la République s’invite au théâtre
Durant cinq ans, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, journalistes d’investigation au quotidien “Le Monde”, ont rencontré le vendredi soir, dans l’intimité de son bureau au Palais de l’Elysée et sans aucun témoin, François Hollande alors président de la République. De ces 61 entretiens d’une heure trente, ils ont en tiré un gros livre de près de 700 pages, dont le principal intéressé pensait sortir glorieux et affronter en toute quiétude sa réélection en 2017. Adaptés et réduits pour la scène, brillamment interprétés par Thibault de Montalembert, Scali Delpeyrat, Hélène Babu et Lison Daniel, ces dialogues révèlent sur la scène la solitude grandissante du pouvoir présidentiel ainsi que le fonctionnement médiatique d’un grand quotidien.
Le président qui adorait les journalistes
On le sait, François Hollande possède un sacré capital de sympathie et il a un faible pour les journalistes, avec lesquels il a souvent multiplié les propos en off. Ce « président normal », qui se voulait plus discret que son prédécesseur Nicolas Sarkozy, a souhaité être un « président normal », proche et loquace. C’est peut-être cette appétence à présider autrement, de manière moins autoritaire, moins monarchique, qui a poussé Gérard Davet et Fabrice Lhomme à mener une enquête sur le quinquennat de François Hollande, à raison d’un entretien par mois. Dans ces entretiens, l’ancien président se livre aux enquêteurs qui enregistrent tout : la politique, Sarkozy, l’Islam et la montée de l’extrême-droite à une époque d’attentats sanglants sans précédents. Mais aussi l’économie, la justice, l’école, sa vie de famille sacrifiée par l’exercice du pouvoir. « Il se trouve que je suis président » aimait-il à répéter à ses interlocuteurs, comme pour se persuader qu’il l’est. Hélas, le livre, qui sera vendu à des milliers d’exemplaires, ne le servira pas, et il abandonne finalement l’idée de se représenter. Certains ont vu dans ce livre un funeste aveu de faiblesse et d’impuissance sur le réel, d’autres diront que les dés étaient déjà jetés.
Le quatrième pouvoir, celui de la presse
Sur le plateau, côte à côte, un bureau débordant de documents dans une salle désordonnée, et celui de l’Elysée, dont on voit les jardins se dessiner au fond. Thibault de Montalembert est Gérard Davet, concentré et rugueux, râleur et peu disert. Quand il voit débarquer une jeune stagiaire en jean, avec les mèches blondes dans le visage, venue pour diffuser les news et en faire des stories sur les réseaux sociaux qu’elle maîtrise à la perfection, le vieux loup de mer qu’est le journaliste aguerri fronce les sourcils sans la prendre au sérieux. C’est Ciseaux, une rédactrice en chef aussi sèche que rationnelle, jouée admirablement par Hélène Babu en tornade de rédaction, qui lui envoie la jeune Lison Daniel dans les pattes pour relayer les quelques scoops de l’enquête auprès du président. La guerre médiatique débute en interne, mais très vite le journaliste va réaliser nécessaire d’utiliser la jeune stagiaire pour mener son enquête. Le service de l’info politique est théâtralement aussi vrai que nature, grâce à l’adaptation de François Pérache.
Antre élyséen
Dans l’ombre feutrée des ors de la République siège le président, qu’interprète subtilement Scali Delpeyrat, démarche godillante dans son costume foncé, voix douce et débit tempéré. Il y a beaucoup de plaisir à voir jouer ces acteurs, dont le talent est de composer, avec un camaïeu de couleurs, des personnages proches de leurs modèles mais loin de la simple copie et de la caricature. Autant Thibault de Montalembert est fougueux, direct, irascible, bougon en tant que journaliste aguerri, autant Hollande par Scali Delpeyrat est tranquille, aimable et accueillant. Les deux acteurs s’accordent à merveille et ont en commun le talent et l’éventail d’une créativité riche, et Lison Daniel, dont on connaît le tempérament d’agitatrice comique, est parfaite dans le rôle pointu de la jeune journaliste aux dents longues. Drôle de théâtre que celui de la presse et de la politique, dont le duel à fleurets mouchetés ne fera en tous cas pas de gagnant présidentiel à ce jeu du chat et de la souris mis en scène par Charles Templon. Une création qui n’apprend pas plus que ce que l’on sait, mais qui peut être une introduction vivace et fort bien jouée au livre paru chez Stock et aux relations entre la presse et le pouvoir, toujours d’actualité.
Hélène Kuttner
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