Un “Macbeth” clérical à la Comédie Française
Silvia Costa, artiste italienne, met en scène la pièce sanglante de Shakespeare dans une scénographie stylisée qui place les personnages dans l’antichambre obscure d’une église, avec une distribution resserrée sur neuf comédiens qui campent les principaux protagonistes. Cette vision esthétisante et cérébrale, si elle séduit par la beauté de sa plastique, délaisse la cruauté barbare du héros et la vision épouvantable du despotisme du dramaturge élisabéthain.
Un prologue magique
Macbeth raconte une atroce histoire de meurtres qui saisit un héros de guerre et sa femme, à partir de prédictions prononcées de manière confuse par trois sorcières. Il sera nommé duc de Cawdor, et futur roi d’Ecosse, foi de sorcières qui trempent leurs doigts noueux dans une potion à l’odeur répugnante. Silvia Costa, metteur en scène et scénographe formée aux cotés de Roméo Castellucci, intègre les trois sorcières au personnage de Lady Macbeth, dont la chevelure rousse flamboyante se déploie tout autour du corps assis de Julie Sicard au centre de la scène. On ne voit pas son visage, et on comprend, lorsque le portrait de son époux couronné se met à tournoyer à la vitesse d’une hélice débridée, que la machine infernale est en marche. D’ailleurs, ce tourbillon de feu se métamorphosera durant la première scène en gigantesque anneau d’or, suspendu dans l’espace, dans lequel Macbeth s’introduira, nacelle royale et promesse radieuse pour ce brave général qui fait gagner l’Ecosse et rend de fiers services au vieux roi Duncan.
Cérémonie ecclésiastique
Passée cette promesse magique, nourrie par d’ésotériques symboles, les personnages défilent dans un décorum gothique traversée de vagues sonores métalliques. La scène est dépouillée à l’extrême, baignée d’une lumière spectrale, dans laquelle apparaissent Lady Macbeth, démoniaque et vêtue de noir, qui ordonne à son mari, le général Macbeth, joué par Noam Morgensztern, comme à un enfant dénué de jugement, infantile, servile, de se lancer dans une boucherie de meurtres. Les sorcières deviennent des Sœurs fatales, campées par Suliane Brahim, Jennifer Decker et Birane Bra ou Julien Frison, créatures fantômatiques flottant sur le plateau et vêtues de robes longues et noires, comme des spectres. Leurs voix sont sonorisées et leurs paroles sont des secrets d’alcôves répandus comme du venin. Mais la folie, le désir furieux, l’infernal et démoniaque moment du passage à l’acte de Macbeth, général modèle, en meurtrier de son roi, sont laissées totalement en berne dans cette mise en scène qui étouffe les émotions et la tension dramatique. Le meurtre du roi et de ses gardes se déroulent en silence derrière de hauts murs, et notre imaginaire doit se contenter de cette esthétique glacée. Tout se déroule d’ailleurs en « off » du plateau, seul Macbeth trempe son visage dans un sceau d’hémoglobine et en semble effrayé.
Une mère et son gamin récalcitrant
Le couple des Macbeth est d’ailleurs montré comme un couple incestueux, qui fait de l’épouse une mère autoritaire et violente, et de Macbeth un gamin velléitaire et capricieux, qui pleurniche et réclame sa tétine. Le Macduff de Pierre-Louis Calixte prend l’apparence de Jésus Christ dans sa robe de bure blanche, les cheveux longs et sauvages, fébrile et décoré d’une barbe hirsute. La forêt qui marche apparait comme un écran lumineux, la guerre et la barbarie deviennent de fait aseptisées et amoindries, le propos dramatique perd de sa puissance et de sa violence. Et nous assistons à un théâtre d’ombres, une mise à distance de l’action et des conflits, qui ne servent pas le propos ni la cohérence de cette tragédie démoniaque sur le pouvoir et la toute puissance politique. C’est dommage.
Hélène Kuttner
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