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Un Conte de Noël entre Tchekhov et Shakespeare

Hélène Kuttner 17 janvier 2020
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© Simon Gosselin

Julie Deliquet et son collectif In Vitro se saisissent aujourd’hui d’un scénario de cinéma pour l’incarner au théâtre dans un espace bi-frontal ouvert à toutes les émotions et aux spectateurs. Dans une grande maison de famille, parents et enfants se retrouvent pour se déchirer avec passion, violence et amour. Un vrai bonheur.

Table ouverte

Le plateau s’ouvre à tous les vents, peuplé de reliques et de canapés défraîchis mais confortables, une méridienne aux tissus d’époque, un piano droit et des tables assemblées recouvertes d’une nappe à fleurs, avec un reste de vaisselle. Un aspect impressionniste et chaleureux de maison de vacances, entretenue délicatement par le maître de maison, Abel Vuillard, teinturier et féru de philosophie, incarné avec une magnifique présence par Jean-Marie Winling, et sa femme Junon, jouée par l’épatante Marie-Christine Orry. Pour reprendre les rôles incarnés à l’écran par Catherine Deneuve et Jean-Paul Roussillon, il fallait de grands acteurs. Ils sont là, ces parents orphelins de leur fils Joseph, enfant disparu trop tôt, que personne n’a pu sauver faute de moelle osseuse compatible, et dont le souvenir plane comme une faute originelle.

Shakespeare chez Tchekhov

© Simon Gosselin

On se croirait chez Tchekhov, chez des provinciaux qui fêtent Noël en famille, pour conjurer un nouveau malheur, celui qui frappe Junon, la mère, de la même maladie qui frappa Joseph. Quand commence la pièce, il est question de sauver Junon, gardienne mythologique de la famille et du mariage, par une greffe compatible provenant de la famille. Il y a bien Paul, le petit-fils, adolescent qui traverse une crise grave de schizophrénie et a failli tuer sa mère Élizabeth, la dramaturge qui a banni son frère Henri de la famille pour immoralité. C’est elle la gardienne du temple, louve intransigeante qui semble aussi gouverner son benjamin Ivan, tandis qu’Henri fait un retour fracassant dans la maison la veille de Noël. On l’aura compris, la famille est ici éclatée en mille morceaux, les personnages échangeant des répliques cinglantes comme des couteaux, souvent drôles et d’une acuité terrible, pour s’extraire d’un imbroglio de désirs et de frustrations, de récurrentes pulsions et de fantômes inquiétants.

Acteurs formidables

Julie Deliquet parvient à diriger ses comédiens avec une subtilité savoureuse, fruit d’un long et habituel travail d’improvisations qui les fait véritablement coller à leur personnage. Tous sont d’un naturel ébouriffant, jouant avec des tubes musicaux des années 70 qu’ils ont eux-mêmes choisis. Stephen Butel notamment est éblouissant dans la peau du frère banni, en débauché Dom Juan imposant sa petite amie au look de Brigitte Bardot, parfaite Agnès Ramy, le verbe haut et l’invective puissante. Hélène Viviès, Éric Charon, Julie André, Jean-Claude Laurier, Olivier Faliez et le jeune Thomas Rortais, tous sont immergés dans cette comédie grave qui vire au drame shakespearien avec poignard et jus de tomate, jouissant des joutes verbales au brillant lumineux, souffrant l’enfer des rivalités et des jalousies familiales, affichant jusqu’au bout des références littéraires et cinématographiques qui les font passer pour des héros. Une famille ordinaire, en somme, dont nous sommes les voyeurs amusés et inquiets.

Hélène Kuttner

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