« Au but » : la férocité jubilatoire de Thomas Bernhard au Théâtre de Poche
Au but De Thomas Bernhard Mise en scène de Christophe Perton Avec Léna Bréban, Yannick Morzelle, Dominique Valadié Tarifs : 10 à 35 euros Réservation en ligne ou par tél. au 01 45 44 50 21 Durée : 1h 30 Théâtre de Poche-Montparnasse |
Du 9 septembre au 5 novembre 2017
Ciselée par la comédienne Dominique Valadié, la férocité jubilatoire de Thomas Bernhard parvient à un sommet. Cette pièce, rarement jouée, rassemble les thèmes et les obsessions de l’auteur autrichien le plus savamment sulfureux. Pour tous ceux qui aiment déjà ou veulent découvrir Thomas Bernhard, Au but dans la mise en scène de Christophe Perton est à voir absolument. La petite salle de ce théâtre intimiste permet de rester centré sur ce qui fait la quintessence de l’auteur. Le public ne peut pas disperser son attention vue la configuration du lieu et il demeure de bout en bout happé par la qualité de la comédienne entièrement au service du texte. Sur le plateau, le salon Art Déco d’une maison bourgeoise où trône une malle en osier, constitue le lieu principal. Une mère et sa fille s’apprêtent comme chaque année depuis des décennies à rejoindre leur résidence secondaire au bord de mer. Mais, sans trop savoir pourquoi, la mère a invité l’auteur de la pièce qu’elles ont vu la veille et ce jeune auteur a accepté. Assise pendant plus d’une heure, la comédienne Dominique Valadié, qui interprète la mère, soliloque longuement en prenant à témoin sa fille. Celle-ci sagement fait les bagages et empile avec soin les robes, range dans des housses les manteaux, s’activant sans bruit, répondant sans impatience et par de rares interventions à sa mère totalement odieuse. Si odieuse que c’en est un bijou. Après cette partition de quasi-monologue qui occupe les deux-tiers de la pièce, le public rejoint les deux femmes et leur hôte dans leur maison de villégiature. La présence d’un tiers, le jeune auteur, apporte à la mère un nouveau prétexte au cynisme, plus interrogateur, alors que se faufile une étrange et sourde complicité. Car l’artiste, chez qui on peut aisément retrouver les préoccupations de Thomas Bernhard lui-même, rejoint par d’autres voies le désenchantement du monde et le constat du non-sens de la vie. Toute agitation, qu’elle soit celle de la mère spectatrice ou celle de l’auteur créateur, s’avère inutile et désespérée. Yannick Morzelle, qui interprète l’auteur, fait surgir une nouvelle tonalité. Jeune, séduisant, il ne peut être suspecté comme cette mère cruelle d’une accumulation de déceptions. Son regard est neuf, son absence d’illusions toute fraiche. Et quoique déjà désabusé, il créée, il produit des pièces et récolte le succès. Le comédien, dans sa fragilité, contraste et nourrit la pièce d’une ambiguïté qui navigue finement entre les regards échangés, d’une part avec la fille qui se révèle musicienne, d’autre part avec la troublante domestique. Celles-ci laissent entrevoir un mince filet d’espoir, mais autant l’une est prisonnière de sa mère, autant l’autre est entravée par sa condition de domestique, et l’auteur les laisse à leur sort, se contentant de leurs présences qui à elles-seules, est parlante. L’ensemble est merveilleusement composé d’exécrables ressassements, de vaniteuses prétentions et de détestations affichées. Thomas Bernhard réussit à provoquer chez le spectateur une délectation face ce flot verbal où toutes les haines sont avouées, celles du mari, celle de l’enfant, celle de la société et même celle des artistes. Il touche au misérable petit venin qui sommeille en chacun, tout en nous permettant d’en rire avec soulagement. Dans cette mise en scène, les comédiens sont dirigés admirablement et Dominique Valadié, insolente tant elle est intelligemment cruelle, affirme une nouvelle fois des qualités exceptionnelles. L’humour dans tout cela est finalement une porte de sortie que dessine la pièce. Le titre de celle du jeune auteur dont il est question est « Sauve qui peut ». Pourquoi ne pas entremêler ces deux propositions face à l’affligeant désespoir humain et concevoir la fuite par le rire, tel un but salvateur ? Emilie Darlier-Bournat [Crédits Photos Stéphane Theis ] |
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