Une belle soirée de Carnaval aux Bouffes du Nord
Clément Hervieu-Léger met en scène avec grâce une troupe de quinze comédiens, réunis pour incarner une petite société de personnages hauts en couleur composée par Carlo Goldoni. Entre Molière et Tchékhov, le spectacle déroule la vie joyeuse et triste, légère ou grave, dans toute sa finesse.
Un départ pour Moscou
Une soirée de Carnaval à Venise. Pour fêter la fin de la saison des spectacles, le tisserand Zamaria, formidablement incarné par Daniel San Pedro, invite ses proches, clients et voisins pour partager un dîner et divers jeux de cartes. Sa fille ne parvient pas à dissimuler le béguin qu’elle ressent pour le jeune et talentueux dessinateur Anzoletto (Louis Berthélémy) qui doit annoncer son départ pour Moscou, alors qu’une dame dans la force de l’âge, la Française Madame Gatteau (épatante Marie Druc) débarque pour avouer sa passion pour le jeune artiste et son souhait de faire le voyage en calèche avec lui jusqu’en Russie ! Avouons que cette intrigue n’a rien de palpitant, mais Clément Hervieux-Léger et son sens de la troupe permet, grâce au talent et à l’inventivité des comédiens et des chanteurs, de nous la rendre captivante et de nous faire vivre, pratiquement en temps réel, l’infinie richesse des échanges tendus par le crissement des caractères et des tempéraments de chacun.
Costumes d’époque
Dans un décor fluide et presque aérien, une longue table en diagonale et des sièges dépareillés et épars, les comédiens sont vêtus dans de belles matières et des costumes aux coupes du dix-huitième siècle, aux teintes chaudes, signés Caroline de Vivaise. Erwin Aros chante des chansons populaires vénitiennes, et le charme de l’époque, que les perruques de l’époque viennent souligner, nous rend les personnages encore plus authentiques, attachants, nourris par l’imaginaire et la liberté de chaque acteur. On converse, on s’emporte, on se jalouse le temps d’une soirée dont les enjeux sont pour chacun différents. L’une oppose à la société son humeur acariâtre et son manque d’appétit, l’autre se comporte en Dom Juan éternel, quand le maître de maison se doit de composer avec les joyeux et les aigris, réfréner l’ivresse de ceux qui profitent ou séparer ses neveux qui se disputent.
Théâtre de la vie
C’est cette liberté, en germe dans l’écriture précise de Goldoni qui dépeint ses personnages comme un aquarelliste, que le metteur en scène semble insuffler aux rapports humains. Aucun des personnages n’est plus important que l’autre, ils se passent le relais le relais de leurs problèmes existentiels, de leur difficulté à digérer un plat ou à aimer, et c’est drôle et touchant à la fois. En eux, dans ces femmes en cours d’émancipation et qui affirment clairement leur désir, dans ces hommes souvent dépassés et dont l’autorité se met à vaciller, ces jeunes gens qui veulent choisir leur vie et leur conjoint, tandis que les célibataires endurcis philosophent sur la vanité de la famille, c’est nous-mêmes que nous retrouvons, avec nos égoïsmes respectifs et notre désir un peu ridicule de reconnaissance affective. Un théâtre de la vie qui, malgré ses deux cent cinquante ans, n’a pas pris beaucoup de rides.
Hélène Kuttner
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