Un Avare électrique à l’Odéon
C’est un Avare électrique, hallucinant, démoniaque que met en scène Ludovic Lagarde en ce moment à l’Odéon, porté par un comédien au talent éblouissant, Laurent Poitrenaux. Autour de lui, une bande d’artistes à l’énergie virevoltante campe la maison d’Harpagon. Un spectacle venu de la Comédie de Reims à savourer à tous âges.
Casser les codes
A voir la scène transformée en gigantesque entrepôt, où sont stockés containers de cigarettes et cartons plein d’objets électroniques, on se croirait plutôt à Taïwan qu’à Paris, dans la maison bourgeoise du seigneur Harpagon. Les portes sont immenses, tout est cadenassé et on se demande qui peut bien respirer dans ces boites oppressantes. C’est Valère qui déboule, le pantalon sur les genoux, grand dadais (Alexandre Pallu) à lunettes amoureux d’Elise (Myrtille Bordier), brune craquante qui ressort elle aussi toute dépenaillée, en soutien-gorge ! On devine aisément ce qu’ils viennent de faire ensemble, mais la rapidité avec laquelle ils se rhabillent tous deux, dans le stress d’un moment volé et d’un amour dissimulé, donne le ton, le tempo de cette folle comédie de Molière en cinq actes que Ludovic Lagarde a choisi de monter comme un véritable thriller, une course hallucinée vers la liberté.
Le rapt d’Harpagon
Harpagon, avare mondialement connu, est incarné par Laurent Poitrenaux, acteur au corps élastique et au débit dantesque, capable de burlesque à la Chaplin, de rap et de swing, maniant la prose comme la colère froide, cassant et nerveux, fourbe et menteur, menant son monde à la baguette de sa carabine pointée sur tous, son fils Cléante (Tom Politano), Maitre Jacques, cocher et cuisinier (Louise Dupuis), son valet La Flèche (Julien Storini). Menteur tyrannique, dictateur cruel, l’Avare de Poitrenaux manipule avec noirceur une foule de personnages aussi gentils qu’innocents, forcés malgré eux de manigancer pour survivre à ce dangereux obsessionnel qui préfère son argent aux êtres humains. De fait, le comédien caméléon passe par tous les affects, modulant sa folie à l’aune des situations et proposant ainsi au spectateur une hallucinante gamme de jeu dramatique, de la comedia del’arte au gore.
Silhouettes de bande dessinée
Dans ce décor dont la cuisine est un kiosque de foire, et ou les sièges sont des cubes de bois blond qui s’écroulent comme un jeu de cartes, les autres acteurs s’en donnent à coeur joie pour composer des silhouettes d’une bande dessinée grotesque et furieusement vivante. Christèle Tual est une Frosine extravagante, brushing blond platine, perchée sur des talons aiguilles, jupe en cuir noir fendue sur des jambes interminables, négociatrice alcoolisée de contrats juteux qu’elle pense gagner avec Harpagon. Il y a dans son jeu une liberté, une fantaisie, une inventivité qui imprègnent toute cette production dont la bande son, les costumes, le maquillage, la chorégraphie sont remarquables. Naturellement, on rit beaucoup, mais avec quelle stupeur, quelle frayeur on plonge dans les abysses de la folie du héros, son égoïsme monstrueux, sa tyrannie dévastatrice. Les enfants, les valets, la fiancée Marianne (Marion Barché) feront les frais de cette dévastation, où le matériel, le pécunier, deviennent les nouvelles divinités à aduler. La scène finale, où l’on voit Harpagon encore tout buriné de la terre de son jardin, plongé dans les paillettes d’or de son immense cassette pour jouir de chacun des éclats de ses pièces d’or, est d’ailleurs tout à fait fantastique. Réel, théâtre, cinéma, ou cauchemar de notre époque ?
Hélène Kuttner
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