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“Turandot” : le mariage réussi de Puccini et de Bob Wilson

Hélène Kuttner 5 décembre 2021
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©Charles-Duprat-OnP

Mise en scène merveilleuse, direction d’orchestre flamboyante, la dernière création de l’Opéra de Paris fait la fête au spectacle, aux chanteurs et aux choeurs pour l’une des oeuvres plus populaires au monde avec un nouveau chef pour la maison, Gustavo Dudamel.

Le dernier opéra du compositeur et son préféré

©Charles-Duprat-OnP

« Je pense à Turandot à chaque heure, à chaque minute et toute la musique que j’ai écrite jusqu’à maintenant me paraît une plaisanterie et ne me plaît plus. » confiait-il à  son librettiste Adami avant de mourir, en 1924. Lors de la première représentation à la Scala de Milan en 1926, le chef Arturo Toscanini déclarait au public lors de l’aria  de Liu « Tu, che di gel sei cinta » (« Toi qui est ceinte de glace ») « Ici finit l’opéra, car à ce moment, le compositeur est mort ». Pour mettre en musique cette histoire fantastique, Puccini était allé chercher un conte écrit par le dramaturge vénitien Carlo Gozzi et qui venait d’être mis en musique par Busoni. L’histoire d’une princesse chinoise qui refusait le mariage par identification à une aïeule violée par son époux et qui exige de chacun de ses prétendants une réponse à trois énigmes, sous peine d’être décapité. D’une cruauté vengeresse, d’une autorité glaciale, Turandot débarque des époques lointaines entre la Perse, la Mongolie et la Chine, donnant une autorité sans bornes aux femmes puissantes. Dans l’opéra, l’aspect tragique de la fable est contrebalancé par les scènes burlesques des conseillers masqués, qui tel un choeur, décrit et commente l’action.

Scénographie somptueuse

©Charles-Duprat-OnP

Le metteur en scène et scénographe Robert Wilson, entouré de Nicola Panzer et de José Enrique Macián pour la dramaturgie, de Stéphanie Engeln pour les décors, de Jacques Reynaud pour les costumes et de John Torres pour les lumières, signe l’un de ses plus beaux spectacles, jouant sur des lumières rasantes et des panneaux noirs rectangulaires qui glissent sur des écrans colorés, selon des dominantes de rouge japonais, de noir, de bleu nuit et de blanc éclatant. Rouge comme la vie, le sang et la passion, noir et blanc livide comme la mort. Entre ces trois pôles, des personnages tirés d’un conte fantastique médiéval, qui craignent le sabre et la torture, entretenus pas la corruption du pouvoir et des esprits, muselant leurs affects et leurs désirs sous la domination des empereurs qui ont droit de vie et de mort sur leurs sujets. Les choeurs éclatants de beauté dans des cuirasses sculptées dans de l’acier noir, à la puissance vocale magistrale, – remercions l’immense travail de la nouvelle cheffe, Ching-Lien Wu- et aux chapeaux chinois stylisés, forment des lignes horizontales compactes qui vont de déplacer, de manière parfaitement symétrique, d’avant en arrière. L’aspect statique de la mise en scène, qui est une particularité de Wilson, prend ici tout son sens pour mieux raconter une histoire légendaire. Tout est fiction, ici, bien que le propos sur le pouvoir du livret, et celui sur la passion amoureuse, se révèlent aussi d’une actualité troublante.

Chanteurs vibrants

©Charles-Duprat-OnP

Obéissant à une gestuelle d’une précision folle, arborant des mains et des bras dans des positions acrobatiques, telles des marionnettes d’extrême-orient, les artistes font tous preuve d’un remarquable engagement. Calaf, le héros valeureux qui met au service de sa bravoure son orgueil et l’amour des défis, est incarné par le ténor gallois Gwyn Hugues Johns, clarté et tenue de la mélodie, chaleur du timbre qu’on aurait aimé plus puissant compte-tenu de la puissance de l’orchestre. C’est là le bémol puisque son amoureuse partenaire Liu est campée par la jeune et talentueuse soprano Guanqun Yu, qui éblouit le public de la première par la qualité de sa prestation vocale et dramatique. Le Timur de la basse ukrainienne Vitalij Kowaljow est parfait de prestance tout comme l’empereur Altoum du ténor Carlo Bosi. Mais ce sont surtout les trois masques, Ping-Alessio Arduini, Pang-Jinxu Xiahou et Pong-Matthew Newlin, chanteurs et danseurs à la fois, sautillant comme des hystériques lutins qui soufflent en permanent le chaud et le froid sur l’issue de cette histoire terrible, qui ont emballé le public par la qualité de leur fantaisie et leur drôlerie. Ecrasant de difficulté tant la richesse de la musique alterne sonorités modernes et dissonances, thèmes orientaux, oscillant sans arrêt entre le subtil des sentiments et le sublime de l’action, le personnage de Turandot est incarné par soprano Elena Pankratova qui allie puissance de feu et diction impeccable pour ce personnage terrifiant. Familière des oeuvres de Verdi et de Wagner, elle incarne, dans une posture de sphinx éblouissante de rouge, la femme inaccessible, surprise par les défis qui peuvent ébranler sa cuirasse brûlante. Dirigeant d’une main bienheureuse l’orchestre de l’Opéra de Paris, Gustavo Dudamel conquiert le public par une direction précise, assurée et d’une fougue que n’aurait pas reniée Toscanini.

Hélène Kuttner

 

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