Trop de jaune, les dernière heures de van Gogh : requiem pour un artiste maudit
Dramaturge et metteur en scène, Orianne Moretti autopsie le mythe Vincent van Gogh au seuil de la mort et… nous en fait voir de toutes couleurs ! S’appuyant sur un texte au scalpel signé Emmanuel Fandre, elle erre sur des terres dramaturgiques singulières avec l’aide d’une solide équipe de comédiens prête à briser les lignes pour nous dégoupiller un huis clos fantasmé et burlesque.
Dissection d’un mythe
Qui est Vincent Willem Van Gogh ? Côté face : un maestro de la peinture dont les œuvres (Les Tournesols, La Nuit étoilée, Les Mangeurs de pomme de terre…) atteignent aujourd’hui des records dans les salles aux enchères où son génie fait désormais l’unanimité. Côté pile : un homme en quête de transcendance, torturé au point de se trancher l’oreille lors d’une crise psychotique. Pour tenter de mieux appréhender cet artiste incompris de son vivant, mort à 37 ans le 29 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise après avoir produit quelques 900 toiles, le dramaturge et peintre Emmanuel Fandre ose prendre à revers attendus et conventions pour exposer son point de vue décalé dans une pièce grinçante. Certains auteurs se distinguent par l’inventivité dont ils font preuve dans la construction de leurs textes. D’autres surprennent par leur analyse des changements de nos sociétés. D’autres enfin, sont de fins chroniqueurs de l’intime, habiles à creuser les noirs abysses humains. Et puis il y a ceux qui sont tout cela à la fois. Fandre en fait partie. Trop de jaune est un tableau saisissant de la place de l’artiste dans la société d’hier et d’aujourd’hui et un texte percutant sur la dérive, la solitude et le désert d’être. En auscultant les dernières heures de ce peintre voué à la géhenne, il explore une matière en fusion et nous fait éprouver la réclusion physique et mentale de cet “homme sans abri”.
Au chevet de la folie
C’est une étrange tonalité qui attrape le spectateur dès l’ouverture : la sensation de pénétrer dans un univers à la fois familier et onirique. On y voit d’abord une partie de billard avec boules de couleur violentes, allégorie d’un règlement de comptes à venir. Puis un corps. Celui de van Gogh allongé sur son lit (surplombé par une immense croix en plexiglas), après s’être tiré une balle dans la poitrine. Le peintre est à l’agonie, encerclé de ses proches : un outre-monde peuplé de fantômes, sortes de doubles du réel… s’apprêtant à le crucifier ? Les personnages apparaissent, disparaissent puis reviennent au gré du texte et peu à peu se dévoile un écheveau de rapports complexes. Il y a ses parents (bigots et hostiles), son frère Théo (rongé par un sentiment de culpabilité et d’impuissance), sa logeuse (bienveillante), l’ami Gauguin (grande gueule goguenarde), le docteur Gachet (partagé entre fascination et jalousie), Sien (sa bien-aimée rejetée par tous), deux infirmiers, une prostituée et La Mort. Imminente. Baignée d’une atmosphère clinique soulignée par des lumières glaçantes tranchant avec les néons clinquants, cette veillée mortuaire met plusieurs scènes à préciser son genre. C’est précisément l’objectif d’Orianne Moretti : pulvériser les frontières entre le classique et le contemporain, confronter les époques et les univers, le jaune irradiant de van Gogh et celui d’une ampoule électrique, la musique baroque et électronique. Mission accomplie : l’aimantation est inévitable.
Un trip sensoriel
Exécuté avec savoir-faire, ce programme progresse sur un tempo retenu à la limite du contemplatif. Un patchwork de scènes christiques entre tension dramatique et jolies épiphanies qui séduit jusque dans ses outrances et impasses. Si l’on est moins convaincu par les intermèdes burlesques pointant le monde de l’Art (merchandising à tout-va pour artistes transformés en marques), on est emmené par la force des images produites par la scénographie de Laëticia Franceschi et les lumières de Cynthia Lhopitallier. Bourdonnant de références, ce trip sensoriel dispose aussi d’une arme de première main : sa distribution où se mêlent l’acteur-danseur belge Thomas Coumans, idéal dans la peau de van Gogh tour à tour matador et victime sacrificielle, Carole Massana qui, par son abattage fait mouche en logeuse drolatique, Laurent Richard, marmoréen en diable dans le rôle du père rigoriste sans oublier Brigitte Aubry, Malik Faraoun, Anne-Lise Maulin (impeccables) épaulés par Xavier Fabre, Edouard Michelon et Francisco Gil.
À découvrir… comme une bouteille à la mer qui n’arriverait qu’aujourd’hui.
Myriem Hajoui
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