Trois femmes (L’échappée) au Lucernaire
Drame de la solitude, zoom sociologique sur trois femmes de trois générations, interrogation sur le déterminisme social, la pièce de Catherine Anne met en scène un trio exclusivement féminin. Une distribution réussie donnent corps à ce huis clos et ouvre la possibilité d’une échappée.
Madame Chevalier, interprétée par Catherine Hiégel, est une vieille dame riche mais très seule, puisque sa fille ne lui parle plus, ni sa petite-fille. Le seul lien que maintient sa progéniture indifférente consiste à lui envoyer une auxiliaire de vie. Apparait alors cette aide nommée Joëlle, ici Clotilde Mollet, appelée à passer ses nuits chez la vieille dame. La troisième est par bizarrerie également nommée Joëlle, c’est-à-dire comme sa mère qui est la fameuse auxiliaire de vie. Le trio mis en place est très vite éjecté des rails de départ, car la fille va se faire passer auprès de la vieille dame riche pour sa propre petite-fille, qui serait revenue des Etats-Unis et aurait décidé miraculeusement de lui rendre visite malgré le veto familial.
Cette imposture, on l’a compris, est d’abord échafaudée par intérêt. La jeune fille en question qui fait basculer les habitudes et les places des unes et des autres, est au chômage, elle-même mère d’une enfant que l’on ne verra pas sur le plateau, et elle est prête à bien des hardiesses pour décrocher un travail. Son subterfuge quant à son identité ne sera pas au final malhonnête mais surtout, il la conduira à une sympathie et même à une affection auxquelles personne ne s’attendait. La pièce combine sans lourdeurs ces vies de femmes à trois stades différents pour évoquer les questions de fatalisme, de révolte, de volonté voire d’audace pour s’arracher à sa condition et pour déjouer l’enfermement qui pèse de mère en fille à cause de la précarité ou au contraire d’une aisance qui écrase le reste.
Le propos s’entend nettement, souligné par le jeu des comédiennes qui campent chacune leur personnage avec des contours francs, bien tenus et qui font ressortir l’articulation entre les désarrois intimes et les positions sociales. Catherine Hiégel arbore une impressionnante aura de vieille dame esseulée qui ne laisse pas paraître le chagrin en grande bourgeoise qu’elle est, mais ses nuances admirables, son sens exquis du moindre détail et de l’humour cinglant donnent à son personnage une complexité qui vient toucher le public et devient la cheville centrale de la pièce. À ses côtés, l’obstination et la rage sensible de la jeune fille dont la vie reste toute à construire, sont finement rendus par Milena Csergo, qui séduit les spectateurs par sa fougue et sa sincérité. Entre les deux, la mère reste sur la ligne de la résignation, un peu serrée par un texte qui ne lui épargne pas des clichés, dont Clotilde Mollet extrait néanmoins une ample et touchante humanité. La connivence des trois comédiennes tisse avec entrain les enjeux d’argent et les affres des déchirements familiaux que tous les milieux, pauvres ou riches, peuvent parfois connaitre. Grâce à une ruse dénuée de malveillance ainsi qu’à des rencontres improbables et des surprises offertes par la vie à condition de les saisir, la pièce finalement ouvre la voie à un meilleur possible.
Emilie Darlier-Bournat
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