Du 19 au 22 août 2015
C’est la Mecque mondiale des arts de la rue. Le Festival d’Aurillac s’étend sur quatre jours et transforme une ville paisible en fourmilière bruyante et trépidante. Un spectacle à chaque coin de rue, une foule compacte, sous le soleil ou sous la pluie, en débardeur ou sous le parapluie, c’est selon… En 2015, Aurillac fête ses trente ans de chorégraphie de l’espace public, trente ans d’essor des arts de la rue en France, phénomène unique dans le monde. L’édition 2015
A Aurillac, entre volcans et vaches d’Auvergne, le festival fait partie du patrimoine local au même titre que le Salers. C’est le Festival d’Avignon par le bas, le fief d’une scène artistique à part où l’on s’entre-déchire, tout en étant fondamentalement d’accord pour rêver d’un monde solidaire, dédié à quelques idéaux politiques et humanistes. Aurillac aussi a son In et son Off, ce dernier étant omniprésent avec des centaines de compagnies qui s’y produisent dans l’espoir de séduire quelques programmateurs. Certaines compagnies sont même incontournables.
Kumulus, Les Plasticiens Volants, le G. Bistaki ou Théâtre du Centaure, Artonik, ou présentent à Aurillac leurs dernières créations. Leurs noms ne parlent qu’à ceux qui ont l’habitude de fréquenter les festivals de rue. Mais justement, ceux-là forment le plus grand contingent de spectateurs du pays. En effet, le théâtre de rue (comme on disait à ses débuts) est la forme de spectacles la plus populaire qui soit. Premièrement parce que ça peut se passer en bas de chez vous et deuxièmement grâce à la gratuité qui domine encore, même si beaucoup de festivals imposent aujourd’hui une billetterie payante pour les spectacles principaux. Mais au fond, la raison est qu’on prend son pied à voir se transformer la ville qu’on traverse habituellement pour aller au travail ou pour d’autres routines du quotidien. Un festival de rue, c’est la fête pour de vrai, c’est les Bacchanales des temps modernes et ça fait du bien à tout le monde.
Naufrages avec et sans chevaux
Justement, Kumulus avec son “Naufrage” est une compagnie qui sait en parler. Ils voient le monde et son ordre économique se noyer et en donnent une métaphore à partir du “Radeau de la Méduse” de Géricault. Ca fait Bunga bunga sur une plateforme suspendue qui s’agite dangereusement. On tangue en dansant sur un volcan et les instincts les plus sauvages, sexuellement avant tout, se lâchent. “Naufrage” dénonce la décadence morale des puissants.
Géricault qui peignait les chevaux serait un bon sujet d’étude également pour Camille et Manolo, les fondateurs de Théâtre du Centaure. Les deux n’ont jamais hésité à dénoncer le règne de l’argent sauvage et des marchés financiers. “La 7e vague” ne fait pas exception et nous parlera d’une “terrible onde de choc… la vague des vagues”. Le trader à cheval, ordinateur et smartphone à la main, donne à voir la sauvagerie cachée et reniée d’un métier où l’on se défie comme dans un western américain. (C) photo: Philippe Metsu
Se noyer dans les nuages à cause de la catastrophe climatique, voilà le propos poétique et alarmant du Wired Aerial Theatre de Liverpool. Leur spectacle aérien “As the World Tipped” met des danseurs verticaux face à un défi à peine imaginable. Non seulement, ils se trouvent eux aussi sur un radeau de la Méduse, mais en plus, leur plateforme plane à trente mètre au-dessus du sol et finit par basculer à la verticale! C’est un monde, c’est leur monde qui bascule pour devenir un écran de cinéma géant.
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Mais c’est du maïs!
Par exemple, dans “The Color of Time” de la compagnie Artonik. Ce spectacle participatif et joyeux n’est pas seulement une déambulation dansée par tous – le public inclus -, mais aussi une explosion de couleurs inspirée de la fête hindi de la Holi, célébration de l’amitié qui salue le printemps. “Ce jour-là les castes n’existent plus, chacun est l’égal de l’autre”, écrivent-ils. C’est pourquoi public et artistes se mélangent, d’autant plus que des dizaines de citoyens, habitants de la ville d’accueil respective, font partie de la troupe. Lâcher le meilleur de soi, ensemble, pour “changer la couleur du ciel”, tel est le programme de cette œuvre de contre-culture. Danse et musique live, et les couleurs éclatantes de la gulal, poudre de maïs colorée, galvanisent le public dans un moment de vie d’extrême générosité. Qu’en pensent les traders?
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Maïs encore avec le collectif G. Bistaki qui, à partir de sa création précédente “Kooperatzia”, dit avoir “mis au point un langage gestuel qui est à la croisée de la danse, du théâtre gestuel, du mime, du jonglage et autres gesticulations et manipulations”. Bien dit, d’autant plus qu’il s’agit de ce qu’ils appellent “cirque chorégraphique d’investigation”. Le titre de leur nouvelle création, « The Baïna Trampa Fritz Fallen » est aussi foutraque que le quatuor lui-même, dans son parcours à travers la ville, en costumes de ville blancs mais armés de pelles. Leurs chorégraphies évoquent un voyage rêvé à travers le monde, de l’Inde aux souks maghrébins.
Thomas Hahn
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