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Tous des oiseaux, nouveau chef-d’oeuvre de Wajdi Mouawad

Hélène Kuttner 22 novembre 2017
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tous des oiseaux simon gosselin theatre de la colline artistik rezo paris

© Simon Gosselin

On l’attendait, cette création multiculturelle, au carrefour de quatre langues qui raconte l’impossible quête identitaire d’un jeune juif allemand et d’une Américaine d’origine palestinienne. Un Roméo et une Juliette qui se retrouvent propulsés dans le terreau de leurs origines, portés par des comédiens époustouflants de vérité. Une saga fantastique, nourrie par une écriture brûlante, à découvrir de toute urgence.

Fragments de génomes

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© Simon Gosselin

C’est une histoire de quête identitaire, un récit initiatique qui part de nos origines mythologiques et bibliques. Le héros, Eitan, un jeune scientifique allemand d’origine israélienne, tombe passionnément amoureux de Wahida, une étudiante américaine d’origine palestinienne. Il travaille sur l’étude du génome humain et rêve de gamètes, alors qu’elle poursuit une thèse sur Hassan Ibn Muhamed el Wazzân, diplomate et historien arabe du XV° siècle, qui fut prisonnier et acheté par le pape Léon X avant de se convertir de force, au christianisme. Cette histoire réelle, celle de « Léon L’Africain », Nathalie Zemon Davis, une historienne juive de l’Université de Princeton, spécialisée dans le dialogue entre les cultures, l’a racontée à Wajdi Mouawad, lui-même Québécois d’origine libanaise, qui vit et travaille en France depuis de nombreuses années. « Comment devient-on son propre ennemi » écrit Mouawad, qui fait infuser durant sept années toutes ces conversations, ces interrogations qui viennent percuter ses propres origines de Libanais chrétien maronite, pris en étau entre les Arabes et les Israéliens, tous ennemis sur des territoires réunis dans un mouchoir de poche, et se haïssant depuis des siècles.

Une distribution internationale 

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© Simon Gosselin

C’est dans leur propre langue que les personnages de cette fiction de quatre heure vont parler, car la langue est le vecteur des affects les plus profonds. Le travail immense des traducteurs a été de traduire en allemand, en hébreu, en anglais et en arabe la prose de l’auteur, qui pour une fois avait écrit son texte bien avant de monter le spectacle. Restait à distribuer les comédiens dans ces personnages d’une géographie éclatée. Jérémie Galiana, qui incarne de manière sidérante, habitée, le héros par qui tout arrive, est né de parents allemands et américains, a fait ses études en France et en Europe, et vit à Berlin. Jalal Altawil (Wazzan) est un Syrien exilé en France; Judith Rosmair, qui interprète la mère d’Eitan, est une comédienne à la puissance incroyable, jouant aussi bien en anglais qu’en allemand, et faisant partie des stars à la Schaubühne de Berlin. Darya Sheizaf (Eden) est une jeune comédienne d’une énergie inouïe qui vit en Israël, comme Raphael Weinstock, acteur, chanteur et peintre, qui explose littéralement dans le rôle de David, le père d’Eitan. Le grand-père, déporté, est incarné par Rafael Tabor, israélien d’origine roumaine, très engagé lui aussi dans les problématiques de multi-culturalisme, ainsi que Leora Rivlin, l’une des personnalités phare du théâtre et de la télévision en Israël, totalement bouleversante dans le personnage de la grand-mère qui détient le secret de la famille. Quant à Souheila Yacoub, qui incarne Wahida, c’est une beauté atomique d’origine belgo-tunisienne, qui vient d’entrer au Conservatoire de Paris mais entame une belle carrière au cinéma avec Philippe Garel. Victor de Oliveira qui joue le rabbin, est un acteur européen originaire du Mozambique.

La fiction au service de l’Histoire

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© Simon Gosselin

La saga nous est racontée par les personnages eux-mêmes, mis en situation dans leurs lieux de vie, à New-York, Tel Aviv, Berlin ou au checking-point de la frontière israélo-jordanienne. Fluide comme un courant marin, la scénographie intelligente de Emmanuel Clolus procède par glissements, déplacements successifs des murs du décor, en forme de boites, qui servent d’écran où est projeté le texte français. Très peu de mobilier sur scène, à part une longue table sur roulettes, qui fait office de bureau de bibliothèque, de lit d’hôpital, de table à manger, de lit nuptial. Des chaises d’écoles, nombreuses, sont aussi les premiers objets qui valsent avec la colère des protagonistes. La lumière d’Eric Champoux, essentielle, enveloppe les corps des acteurs d’une brume douce ou agressive, et la musique originale de Eleni Karaindrou, enregistrée en studio à Athènes, joue un rôle romanesque et dramatique essentiel. Mais c’est avant tout l’écriture de Wajdi Mouawad, moteur poétique d’une puissance rare, qu’il faut avant tout saluer. Les mots, les phrases sont ici trempés dans le miel d’une clairvoyance exemplaire, en épousant les différents points de vue des personnages, souvent ennemis, en leur donnant tout leur sens. L’humour, l’ironie, l’acidité, la tendresse, la poésie, la violence, cette écriture constitue bien un terreau formidable qui permet aux comédiens de donner le meilleur d’eux-mêmes. Et nous, spectateurs, avons devant nous le meilleur du théâtre, celui qui plonge dans nos vies.

Hélène Kuttner

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