Todo el cielo sobre la tierra (El sindrome de Wendy) – Odéon-Théâtre de l’Europe
Des valses à la poésie cristalline s’enchaînent dans un rythme à trois-temps qui fait gracieusement tourner le satin des robes, la déambulation furieuse d’Angelica Liddell vomit la saleté du monde dans des imprécations volcaniques, un jeune homme qui a un trou rouge dans le dos tombe en un geste rimbaldien, les musiciens sur scène gardent la mesure et Angelica Liddell poursuit son explosion de démesure : le spectacle de la performeuse catalane réunit des formes multiples de théâtre autant que de danse, de one-woman-show et de conte. Le plateau s’embrase sans logique évidente sous un entrelacs d’images violentes et fascinantes ainsi que de sons, de paroles, de musiques et de récits noirs et éclatants.
Hallucinant désespoir
Ce spectacle a d’abord été présenté à Avignon en 2013 et il a créé pour la troisième venue d’Angelica Liddell dans la cité des Papes un fracas qui a secoué chacun, tantôt avec admiration tantôt avec une perturbation déstabilisante voire dérangeante. Repris à l’Odéon, l’impact résonne toujours sous forme d’électrochoc superbe. Le syndrome de Wendy repose sur la peur pathologique de l’abandon, se référant au personnage féminin dans le conte de Peter Pan.
Pour la metteur en scène et interprète, il devient ici crainte de perte de la jeunesse et s’appuie dans sa construction sur la tuerie qui eut lieu sur l’île norvégienne d’Utoya en 2011. Autour de cet événement où 69 adolescents trouvèrent la mort, Angelica Liddell crie son effroi devant la décrépitude et la vieillesse, en faisant intervenir dans ses fantasmes l’univers poétique de Wordsworth enchevêtré aux musiques du sud-coréen Cho Young Wuk et l’ambiance scintillante de Shangaï où erre Wendy. Pour cela, le spectacle s’ouvre sur un monticule terreux surmonté de crocodiles suspendus dans l’espace, représentant l’île de la belle jeunesse massacrée. Suivent de longues séquences dansées où les valses désuètes dégagent un charme magnétique, somptueusement porté par un couple d’âge avancé et à la grâce inentamée, couple que l’auteur elle-même a rencontré lors de son séjour en Chine et qu’elle a convaincu de venir en France pour participer à son spectacle. Ensuite commence une tempête verbale qu’Angelica Liddell propulse, arpentant le plateau en collants noirs et string en paillettes, micro en mains. On pourrait croire à une rockeuse se mettant à improviser pour déverser son dégoût des poncifs en matière de mère, de dignité, d’altruisme et de tout ce qui est pétri de bons sentiments. Mais l’auteur-interprète maîtrise sa diatribe et l’a préparée. Le flot de misanthropie vient du plus profond d’elle-même et a été observé, étudié, interrogé, avant de prendre cette forme assumée qui devient un cri intense, un appel bouleversant, un orgueilleux désespoir jusqu’au-boutiste où se rencontrent la douleur personnelle d’Angelica Lidell et des faits réels du monde actuel.
Le rythme corporel et celui des mots emplisse le plateau, la silhouette fragile et colossale d’Angelica Liddell traverse et retraverse nerveusement la scène, la voix atteint des sommets rauques et poignants, on sent que rien ne fera céder la désespérée, ni apitoiement ni refuge attendrissant. Pour elle, ni la souffrance ni l’âge ne sont une excuse à la bêtise et au renoncement, l’art et l’éclat de la jeunesse animent cette écorchée vive qui nous submerge de sa torture sur fond d’idéal persistant, tempétueux et renversant.
Isabelle Bournat
Todo el cielo sobre la tierra (El sindrome de Wendy)
Tout le ciel au-dessus de la terre (le syndrome de Wendy)
Texte et mise en scène d’Angelica Liddell
Avec Xue Ying Dong Wu, Xie Guinü, Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Lola Jiménez, Jenny Kaatz, Angélica Liddell, Sindo Puche, Maxime Trousset, Zhang Qiwen, Saite Ye et l’ensemble musical PHACE
Jusqu’au 1er décembre 2013
Du mardi au samedi à 20h
Le dimanche à 15h
Tarifs : de 6 à 36 euros
Réservations par tél. 01.44.85.40.40
Spectacle surtitré
Durée : 2h 15
Odéon -Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
M° Odéon
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