Tigran Mekhitarian : “Le théâtre a le pouvoir de rassembler”
À 25 ans, Tigran Mekhitarian, tout juste auréolé du Prix du Jury des Planches de l’ICART, a déjà joué dans plusieurs pièces et une série TV. Il vient aussi de mettre en scène une version ultra contemporaine des Fourberies de Scapin qui sera jouée au Théâtre de l’Épée de Bois, du 6 au 16 mai 2018. Entretien avec ce jeune talent prometteur.
Pourrais-tu nous parler de ton amour pour le théâtre ?
J’ai toujours aimé le théâtre et j’ai décidé d’en faire mon métier car je voulais pouvoir réunir un ensemble de personnes issues de classes sociales différentes pour les faire rire ou pleurer, les faire voyager ensemble. Dans la mise en scène que je propose des Fourberies de Scapin, j’ai justement choisi de mélanger le texte classique avec des passages modernes de rap. Ceci a rendu la pièce beaucoup plus accessible et a permis d’avoir, dans les salles, un melting-pot incroyable, avec un public composé de jeunes des cités en même temps que des couples âgés. Un jour, un jeune étranger est d’ailleurs venu voir la pièce. À la fin de la représentation, il est venu vers moi et m’a dit : “Ce soir, j’ai eu l’impression d’être français.” C’est ça qui est génial avec le théâtre, il a le pouvoir de rassembler.
Souhaites-tu être metteur en scène depuis toujours ?
C’est d’abord le projet qui m’en a donné envie. Je n’avais que 21 ans quand je me suis lancé dans cette aventure et, à cet âge-là, je ne voulais être que comédien. Mais je voyais autour de moi plein de jeunes qui ne s’intéressaient pas au théâtre, car ils trouvaient que c’était trop éloigné de leur monde. Ils ne se reconnaissaient ni dans le texte, ni dans le niveau de langue ou la diction classique.
Ce que je voulais, c’était alors proposer une version qui pourrait parler à toutes les générations. Car en réalité, le sujet traité par Molière est atemporel. Je voulais trouver un moyen de faire entendre cette pièce aux jeunes d’aujourd’hui. Alors j’ai gardé le texte d’origine à la virgule près, mais les acteurs le récitent à la manière du XXIe siècle, comme s’ils discutaient entre amis, et nous portons des costumes contemporains, nous rappons…
Mais maintenant que j’ai goûté au plaisir d’être metteur en scène, je souhaiterais travailler sur d’autres pièces, bien entendu. C’est un terrain où je me sens à l’aise. Je ne me ferme donc pas à un avenir en tant que metteur en scène.
As-tu mené seul le projet des Fourberies de Scapin ou l’as-tu mûri en équipe avec la troupe qui la joue ?
En ce qui concerne la création et l’écriture des passages ajoutés, j’en suis le seul initiateur et compositeur. J’ai aussi fait la mise en scène, mais construire l’ensemble du projet a été un vrai travail d’équipe. En effet, le projet aurait été impossible à réaliser sans la troupe qui le porte à bout de bras depuis quatre ans.
Je tiens d’autant plus à remercier ces comédiens qu’ils m’ont suivi malgré le peu d’aides financières. Or, tout le monde sait que, pour un jeune comédien, gagner de l’argent est primordial !
Depuis la fin du Cours Florent, par lequel tu es passé, tu as joué dans plusieurs pièces classiques, mais également des pièces contemporaines, comme Djihad d’Ismaël Saidi, qui aborde le thème du terrorisme. À l’occasion de la première édition des Planches de l’ICART, tu as proposé un seul-en-scène dans lequel un jeune suicidaire menace de faire exploser le théâtre et tous les spectateurs avec. Le terrorisme est-il un thème qui te tient à cœur ?
Je ne crois pas qu’il y ait de rapport entre les deux. Mon seul-en-scène a été écrit, mais il n’y a pas de texte à proprement parler et je le joue en improvisation. C’est une pièce qui parle avant tout de suicide. Le terrorisme n’est qu’un moyen de faire peur à l’audience pour l’impliquer davantage. Quand on se sent soi-même menacé, on est beaucoup plus réceptif au message transmis.
Le véritable sujet et but de cette pièce : comprendre ce qui pousse un jeune à aller jusqu’au terrorisme. Je pense qu’il faut avant tout comprendre ce phénomène en profondeur pour pouvoir l’éradiquer et ne pas s’arrêter à une analyse simpliste. Marine Le Pen disait à propos des jeunes qui décident de partir en Syrie : “Cela ne me dérange pas qu’ils partent, tant qu’ils ne reviennent pas.” Je crois que le problème est trop souvent pris à l’envers.
C’est d’ailleurs à cause d’un drame personnel que le personnage en vient au terrorisme. La perte de sa mère le mène, en effet, vers la dépression, et c’est dans ce malheur isolé qu’il va pointer du doigt la société, laquelle a poussé sa mère au suicide. Jusqu’à chercher à se venger…
Exactement. Selon moi, le terrorisme n’est pas forcément affaire de religion. Celle-ci n’est souvent qu’un prétexte pour commettre des atrocités.
Peux-tu nous parler de tes autres projets ?
En juillet prochain, je jouerai dans Deux frères de Fausto Paravidino, mis en scène par Theo Askolovitch à la Maison de la Poésie d’Avignon. La pièce raconte l’histoire de deux frères qui ont une relation fusionnelle et qui voient leur destin transformé par l’arrivée d’une femme dans leur colocation. C’est une pièce que je porte dans mes tripes et je suis très fier de faire partie de cette aventure. Il y a aussi une série que j’ai tournée et qui va bientôt arriver sur Netflix, mais je n’en dirai pas plus !
Propos recueillis par Laudine Jacobée
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