“Théorème / Je me sens un cœur à aimer toute la terre” : Pasolini remixé avec un certain bonheur au Vieux-Colombier
Emilie Prévosteau et Amine Adjina, respectivement metteurs en scène et auteur, ont choisi de revisiter le film scandaleux du poète et cinéaste Pasolini, sorti en 1968, d’après son roman. Dans une maison de villégiature en bord de mer, une famille bourgeoise accueille, presque malgré elle, un jeune homme à la beauté foudroyante. Ange ou démon, le jeune garçon fera tourner toutes les têtes, chavirer tous les cœurs, bouleversant l’ordre moral de la maisonnée. Moins sulfureux que le film d’origine qui se déroulait à Milan, le spectacle est remarquablement interprété par la troupe de la Comédie Française.
Pasolini et Molière
C’est l’alliage surprenant qui sert de matrice au texte d’Amine Adjina, mélange de poésie éthérée et de dialogues au réalisme cinématographique, parfois très cru. Nous sommes dans une maison en bord de mer où une Grand-Mère, remarquable Danielle Lebrun, règne en irascible maîtresse de maison. Une jeune femme, dont la mère était domestique de la famille, la sert comme une « boniche » -dans le texte- tout en étant méprisée par tous. C’est Claïna Clavaron qui campe Nour et qui interprétera, en pleine lumière cette fois, la fameuse tirade d’Elvire lorsque cette dernière apprend la trahison de Dom Juan. Les parents et les enfants sont donc tous arrivés : la Fille, jouée avec bonheur par Marie Oppert, travaille cette tirade pour devenir comédienne tandis que le Fils, Adrien Simion, s’attelle à filmer tout le monde dans un objectif artistique. Bref, les deux jeunes gens flirtent avec les arts, contrairement au Père qui fulmine bruyamment, râle sur le manque d’ordre et de morale de notre société et fait peser sur tous son statut de patron d’entreprise.
Comédiens excellents
Alexandre Pavlov est un Père redoutable, brisé, séduit par une candidate d’extrême droite qui n’est jamais citée, mais dont les spectateurs connaissent tous le nom. Il est superbe d’orgueil et d’acrimonie, méprisant ouvertement chacun, y compris son épouse. Coraly Zahonero incarne cette bourgeoise coincée, malheureuse et frustrée, avec son beau talent et sa grâce sensuelle, qui sera dévastée par le Garçon, bel et charmeur étranger qui insufflera à chacun un fluide vital. Birane Ba promène sa silhouette longiligne et son mystère poétique, reprenant le rôle de Terence Stamp dans le film d’époque. En référence au film, on apprend qu’un poète a été assassiné sur la plage, comme le fut Pasolini.
Une séduction torride
Progressivement, le Garçon éveillera chacun des personnages, en finissant par le Père, à une libération affective et sexuelle. « Je me sens un cœur à aimer toute la terre » clame le Dom Juan de Molière, pétri d’un libertinage anticlérical qui s’enivre du cœur et du corps de chaque femme. Pas sûr que la référence à ce personnage soit cohérente ici, tant le Garçon, que la Grand-Mère a rencontré sur la plage, transforme réellement, et de manière positive, chacun des membres de la famille. Alors que le personnage de Dom Juan s’invite partout, et dans tous les milieux, c’est d’abord la Grand-Mère de cette famille bourgeoise qui invite le Garçon, rencontré sur la plage, et qui tombe sous son charme. De même, la Fille lui ouvre les bras et son chemisier qu’elle dégrafe de manière compulsive, tandis que la Mère lui fait la danse des sept voiles sur la terrasse qui surplombe la villa. Les vagues de chaleur, les migrants, l’arrivée de l’extrême droite sont les références très actuelles de ce portrait d’une famille française dont les stéréotypes appuyés, souvent drôles, doivent servir de cadre à notre imaginaire. Bravo aux acteurs et aux concepteurs de ce voyage théâtral à mi-chemin entre réel et fantasme, entre roman, cinéma et création dramatique.
Hélène Kuttner
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