Un souper à couteaux tirés
Le Souper
De Jean-Claude Brisville Mise en scène de Daniel Benoin Avec Niels Arestrup, Patrick Chesnais, Jusqu’au 23 mai 2015 Tarifs : de 10 € à 57 € selon les catégories
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Jusqu’au 23 mai 2015
Truffé d’aphorismes, ce texte mis en bouche par deux grands acteurs et relevé d’un zeste de comique offre de quoi se régaler les yeux et les oreilles. Un mets théâtral de choix, un huis clos historique passionnant ! “Tout à coup, une porte s’ouvre : entre silencieusement le Vice appuyé sur le bras du Crime.” C’est en ces termes que Chateaubriand relate l’entrée de Fouché et de Talleyrand dans la chambre du roi, le 7 juillet 1815 à Saint-Denis (Mémoires d’outre-tombe). Jean-Claude Brisville imagine un souper, la veille. À la lueur vespérale des bougies, deux figures de l’histoire partagent un repas. Joseph Fouché, duc d’Otrante, ministre redouté de la police sous le Directoire et l’Empire, préside alors la Comission du gouvernement mise en place après l’abdication de Napoléon Premier. Son meilleur ennemi, le prince de Talleyrand qui l’a convié à la table de son hôtel particulier parisien, occupe des postes politiques d’importance sous les régimes successifs depuis l’Ancien Régime. Si le premier est attaché à la République, le second souhaite le rétablissement des Bourbons sur le trône. Les deux hommes à couteaux tirés vont donc devoir composer, négocier afin de trouver un terrain d’entente et partager le gâteau à parts égales. Sous leurs fenêtres, la révolte du peuple gronde. Entre les bons mots et les bons morceaux, avec le plus grand savoir-vivre de deux esprits éduqués, les deux hommes se tiennent à la gorge. Et cependant, les personnages inquiétants suscitent une forme de sympathie et nous amènent à rire. Leurs idéaux nous touchent. Les deux acteurs insufflent passion, grandeur, gravité et nostalgie d’une époque révolue à ce souper. Niels Arestrup et Patrick Chesnais investissent en effet avec un naturel et une présence déconcertants leur personnage. Il fallait deux grands comédiens, deux fortes personnalités pour se tenir tête, incarner l’équilibre des rapports de force et maintenir la tension dramatique de bout en bout. Talleyrand impose charisme, puissance et joue cartes sur table. Plus évanescent, sournois, son partenaire dissimule son jeu et rappelle qu’il faut se méfier de l’eau qui dort. Ses sursauts colériques déroutent. Leurs interprétations ne souffrent que de rares défauts. La tendance de Niels Arestrup à frapper sur la table est inutile puisque l’acteur insuffle déjà rythme et puissance à son interprétation. Si l’articulation de Patrick Chesnais vascille de temps à autre, le texte de Jean-Claude Brisville résonne très clairement. Ses nombreux aphorismes se dégustent sans faim. La fragilité du cristal Daniel Benoin a orchestré une mise en scène classique à laquelle il greffe quelques fines modifications. La mise en scène intérieure-extérieure de ce plateau décoré comme un salon confortable mais dans lequel des éléments extérieurs apparaissent (la pluie tombe, la façade de l’hôtel de Tayllerand est apparente) rappelle cette situation non définie, non tranchée, dessine cette situation de l’entre-deux, entre chien et loup, entre deux visions de la France, deux possibilités. Au fur et à mesure que les négociations avancent, les deux politiciens abandonnent la grande table pour la plus petite. Le jeu apparaît ainsi de plus en plus serré. Les bris de glace récurrents causés par la foule en effervescence raniment le sentiment d’un danger imminent. Ils entrent en résonance avec les tintements de l’argenterie et du cristal précieux. Chair de poule et frissons sont garantis. Enfin, malgré la situation brûlante, le repas et les mets sont froids. Ce repas demeurera jusqu’à la fin tactique et cérébral, pour une tension dramatique portée à son comble. Ce souper, loin de nous avoir rassasiés, nous a ouvert l’appétit et nous souhaitons en savoir plus sur cette époque troublée de l’histoire. Jeanne Rolland [Visuel : “Le Souper”, de Jean-Claude Brisville, Théâtre de la Madeleine © Philip DuCap2014] |
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