Rien de moi, une histoire d’amour et de solitudes à la Colline
Rien de moi De Arne Lygre Mise en scène de Stéphane Braunschweig Avec Chloé Réjon, Manuel Vallade, Luce Mouchel et Jean-Philippe Vidal Du mercredi au samedi à 21h, mardi à 19h et dimanche à 16h Tarifs : de 9 à 29 euros Réservation : La Colline |
Lorsque seuls les mots forment l’action, le théâtre prend une dimension métaphysique où tout devient possible, l’amour fou comme le désir le plus cru. Quelque part en Norvège, au bord d’une mer glacée, un couple se découvre et s’invente physiquement devant nos yeux. La nouvelle pièce du dramaturge Arne Lygre, montée de manière très clinique par Stéphane Braunschweig. Le metteur en scène Stéphane Braunshweig aime les poètes nordiques. Après Ibsen, c’est au tour d’Arne Lygre, 46 ans, en résidence actuellement au Théâtre National d ‘Oslo, d’être exploré au Théâtre de la Colline. « Rien de moi » est un texte sans concession, fort et ciselé, d’une précision tranchante comme une arme. Il raconte l’installation d’un couple qui vient de se rencontrer et qui commente, en agissant, chacun de leurs faits et gestes. La pièce est écrite du point de vue de la femme, « moi » incarnée par Chloé Réjon. Elle vient de quitter son mari et son enfant, après le deuil de sa fille et rejoint « lui » (Manuel Vallade), son jeune amant, pour construire une nouvelle vie. Dans la boite blanche que le metteur en scène et Alexandre de Dardel ont conçue, les deux comédiens s’avancent l’un vers l’autre sans se toucher, manifestant leurs actes, leurs désirs à travers le langage. Ils disent ce qu’ils font, ce qu’ils désirent, et leur volonté s’accomplit. Comme si seule la force du désir immédiat, sans contrainte et sans morale, suffisait à mouvoir leur histoire. Comme si le langage, avec sa force et son emprise, avait la capacité d’enfermer les gens dans l’image que chacun se fait d’eux. D’ailleurs, que viennent faire les fantômes familiaux, la mère et les deux enfants, sinon brouiller la limpidité de cette intrigue ? De l’espace et du temps, pour mieux ciseler le langage qui opère. La mise en scène souligne la distanciation des personnages et dessine autour de chacun d’eux une bulle de solitude avec des lumières rasantes et blanches. On aurait aimé davantage d’intensité derrière la froideur formelle de la langue, comme un feu qui brûle sous la glace. C’est Luce Mouchel, frémissante et fragile, interprétant tour à tour la mère et les deux enfants, qui fait basculer la pièce à l’endroit du drame. Elle est splendide de finesse et de réactivité à fleur de peau. Jean-Philippe Vidal, le mari de la femme, parvient le temps d’une courte scène à alourdir le présent de sa gravité charnelle. Car la pièce parle de l’illusion que nous confère le pouvoir des mots sur nos proches, tout en laissant les situations en suspens. Libre au spectateur de réinventer la suite. Nous nous contenterons de révéler que comme la Norvège, le plateau de scène se laisse envahir par l’eau. Hélène Kuttner [Photos : Elisabeth Carecchio] |
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