Les Monologues du Vagin – Théâtre Michel
« Si votre vagin pouvait parler, que dirait-il ? »
Cette lecture-spectacle aux accents osés mais jamais vulgaires relève avec piquant et subtilité le défi de parler le plus de ce dont on entend habituellement parler le moins : le vagin. Un terme certes peu élégant, pour le moins parfois embarrassant, qui sera pourtant prononcé à 123 reprises au cours de la représentation, comme si une fois le coup d’envoi donné et la langue enfin déliée on ne pouvait s’empêcher de le répéter à l’envie voire à l’excès. Mais l’audace du texte et de la mise en scène –laquelle est si dépouillée qu’il conviendrait plus modestement d’appeler cela une simple mise en bouche – ne s’en tient pas là et conduit plus loin l’exercice, disons l’examen : il ne s’agit pas seulement d’enjoindre les femmes à parler de leur vagin – ce qui somme toute resterait plutôt sage – mais de les inviter à imaginer avec sens de l’extravagance ce que leur vagin dirait s’il pouvait parler. Par conséquent, sous l’impulsion de ce motif désarçonnant, le vagin n’est pas le sujet au sens faible de la pièce, mais sujet au sens fort : c’est au vagin, à cette région muette qui généralement impose le silence, de parler en première personne, et c’est au vagin en personne que les trois comédiennes prêtent la voix. Le tour de force original du texte étant alors de donner au sens propre la parole au vagin, de le coucher pour ainsi dire sur le divan.
« Connais-toi toi-même »
Eve Ensler n’entend pas seulement briser un tabou – qui aujourd’hui, il faut l’avouer, est déjà largement défloré – mais entend plutôt mettre la sexualité féminine à l’honneur. Sans lester le propos de sacré, sans même l’envelopper du sceau du secret, les comédiennes guidées par le ton singulier et irréductiblement personnel de chaque confession se prêtent à un véritable exercice d’admiration. Et par admiration il faut comprendre l’occasion d’y regarder d’un peu plus près : nombreuses sont les femmes, comme en témoigne le texte, qui n’ont tout simplement jamais aperçu, encore moins observé, cela va sans dire, la partie la plus brûlante mais aussi la plus retirée de leur anatomie, nombreuses sont celles aussi qui ont préféré s’en détourner, s’en désintéresser jusqu’à s’en abstraire. Et pourtant, à en croire la confession fantaisiste rapportée à la première personne par l’une des comédiennes, Maimouna Gueye – dont le talent est particulièrement réjouissant – , cela vaut le coup d’oeil… Les regards brillant de malice furtivement échangés dans la salle en disent long et ne trompent pas : la complicité déjà palpable entre les comédiennes a maintenant contaminé son auditoire, et la salle – composée par une large majorité de femmes et de quelques courageux du sexe opposé qui se laissent à vrai dire prendre au jeu – est progressivement gagnée par l’ivresse, doucement emportée par cette vague d’euphorie.
Les sanglots du vagin
Cependant, dédramatiser le malaise ne revient pas pour Eve Ensler à occulter le drame. Au contraire, le texte se refuse à faire l’impasse sur les expériences violentes, traumatisantes parfois même salissantes qui font au même titre que le reste partie de l’histoire de ces femmes et qui jalonnent le chemin de leur sexualité quand ce n’est pas pour briser à jamais leur ouverture à la sensualité au seuil de l’âge adulte. Sur scène, faisant entrer en résonance ces récits vibrants, faisant en fin de compte entrer tous ces monologues en dialogue, les trois comédiennes s’efforcent de restituer l’horreur – viols, incestes, excisions – avec pudeur et sobriété. On comprend dès lors, outre le dessein séduisant de la confidence, le sens profondément militant dans lequel s’inscrit et s’engage le monologue. Il consiste en effet à rendre justice à une idée très simple qui manifestement souffre d’un défaut d’évidence ; à savoir que le « vagin » n’est précisément pas qu’un mot dont on peut seulement s’amuser, s’étonner ou encore s’indigner, mais une réalité du corps féminin, une réalité souvent ignorée ou refoulée, quelquefois niée, parfois même souillée. Comme si ce sexe pouvait être à la fois je et une autre que moi, une partie de mon corps et cette étrangeté ne m’appartenant qu’à titre de pure extériorité. C’est donc à un appel et à un rappel du corps que répondent « les monologues du vagin ». Dépassant alors le simple exercice de style, tel un véritable travail d’appropriation, le spectacle inspiré du texte de Eve Ensler, sans rien perdre de sa substance ni de sa destination première, à savoir l’éveil des consciences et la déliaison des langues, fait l’effet d’une authentique réconciliation.
Si, en matière de sexualité, on n’apprend rien de ce que l’on ne savait déjà, ces partitions de mémoire et ces fragments d’expérience intime, donnent de la voix et de l’espoir aux générations de femmes à venir.
Nora Monnet
Les monologues du vagin
Une pièce de Eve Ensler
Avec Catherine Arditi, Sonia Dubois, Emmanuelle Boidron.
Du 13 au 20 Février : Andréa Ferréol, Maïmouna Gueye, Séverine Ferrer
Du 21 au 28 février : Catherine Arditi, Maïmouna Gueye, Séverine Ferrer
Le 26 février : Séverine Ferrer est remplacée par Aurore Auteuil
Jusqu’au 2 mai 2010
Du mardi au samedi à 19h / Le dimanche à 17h30
Durée indicative 1h15
Réservations au 01 42 65 35 02
Tarif : 36 euros
Théâtre Michel
38, rue des Mathurins 75008 Paris
Métro : Havre-Caumartin (ligne 3-9)RER : Auber (ligne A)
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