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Les couteaux dans le dos – Théâtre la Bruyère

22 février 2010
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A cet âge où elle devient femme, tiraillée entre l’hystérie de sa mère et la pression de sa directrice et de sa conseillère d’orientation, elle décide de partir – non sans s’être au préalable automutilée – avec ses seuls figolus pour devenir gardienne d’autoroute. Insatisfaite de son choix, elle va poursuivre son chemin pour savoir si la vie vaut la peine d’être vécue.

Une distribution réjouissante pour une œuvre de caractère

La force de cette pièce doit beaucoup à ces cinq comédiennes énergiques qui se fondent avec justesse dans un texte rythmé, enlevé, axé sur la répétition et qui en tire tant son aspect comique que sa profondeur. Chacune laisse un peu d’elle-même dans ses personnages, et la petite Marie, ingénue, pétillante, vive dans l’amusement comme dans le désenchantement, avec sa moue adorable mi-grave, mi-enfantine, est un leitmotiv séduisant à cette tragicomédie contemporaine. Tout cela intelligemment, car si une frénésie incessante anime la pièce, elle laisse tout de même la légèreté et l’autodérision s’y installer durablement. Le thème du sens de la vie y est abordé sans désillusions, sans emphase, et la troublante question de savoir si, au moins une fois, on a eu le sentiment d’être vivant, est posée franchement, pour en arriver à la conclusion que quelque chose plutôt que rien, c’est déjà pas mal.

Le chemin de Marie est jalonné de trollettes, d’un fantôme familier, et autres Rilke et Ibsen, rencontrés dans le train des regrets (Stockholm-Oslo), qu’elle emprunte après s’être découvert un amour impossible avec un jeune gardien de phare, mutilé comme elle, avant de finir par discourir avec la mort elle-même sur une bicyclette, pour enfin trouver ses réponses. Autant de personnages symboliques empruntés à diverses sources, si bien que la famille elle-même acquiert cette dimension et passe dans l’abstraction.

La thématique de l’existence à travers la forme de l’absurde

Les personnages usent de  phrases apparemment anodines mais qui, hachées par l’incessante répétition, telles autant de couteaux aiguisés, martèlent habilement le spectateur. Ils sont obsessionnels, caricaturaux, presque robotisés, et si hermétiques aux uns et aux autres dans le discours, si seuls que ce sont leurs propres couteaux dans le dos qui leurs font comprendre qu’ « à part nous-mêmes nous n’avons pas d’ennemis ».

Le « permanent paradoxe » du sens de la vie est présent dans ces discours qui s’essoufflent par trop de rationalité, et l’on rit franchement, retrouvant le goût amer et savoureux de l’absurde.

La répétition du « ce n’est rien », du « ce n’est pas grave », et autres inquiétantes banalités, caractérise ces êtres qui se vident littéralement de leur substance et s’effacent derrière leurs obsessions. Tout est son contraire dans ce petit monde fantasque, et en même temps criant de réalisme, et la mort paraît plus vivante que les personnages, à qui on a conféré une réalité sociale crédible. Ainsi l’on se trouve devant une pièce résolument tournée vers l’existence, simplement affirmative, avec lucidité.

Une fable initiatique

Une très jolie fable sur le passage à l’âge adulte et sur le charme fugace de l’adolescence, où tant de choses se jouent, se rejoignent, où la force est complice de la fragilité, où le sourire et l’amusement viennent sans cesse briser la noirceur. Marie veut voler, au lieu de simplement partir, mais ne sait que faire de ces ailes trop lourdes à porter, de ces valises trop encombrantes, de cette insoutenable légèreté, en somme, que l’on découvre généralement dans ces moments de transition.

Une charmante fable initiatique où se mêlent loufoque et réalisme presque cruel, grâce à l’intervention d’une figure féminine aboutie et attachante.

Sophie Tirion

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=AP_Nf0IHiLY[/embedyt]

Les couteaux dans le dos

De Pierre Notte
Mise en scène de Pierre Notte assisté de Thibaut Ronan

Lumières Antonio de Carvalho
Costumes de Christian Gasc
Vibraphone et arrangements : Paul-Marie Barbier

Avec : Jennifer Decker, Flavie Fontaine, Charlotte Laemmel, Caroline Marchetti, Marie Notte

Jusqu’au 10 mars 2010
Du mardi au Samedi à 19h

Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère – 75009 Paris
M° Saint Georges ou Pigalle

www.theatrelabruyere.com

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