La Réunification des deux Corées – Joël Pommerat – Ateliers Berthier
Des acteurs formidables évoluent dans l’écriture très fragmentaire de Joël Pommerat. Comme les romans Manhattan Transfert de Dos Passos ou Berlin Alexander platz de Döblin, la pièce propose des tranches de vie successives. Les mises en scène de Joël Pommerat reposent toujours sur le procédé du noir systématique et celle-ci ne déroge pas à la règle. Entre chaque scène, noir complet et les acteurs comme par magie, en une seconde, s’échappent et font place à de nouveaux personnages. C’est assez vertigineux. Cet habile metteur en scène déplace l’action dans l’espace scénique, créant un effet de surprise et des attentes : tantôt au centre, à une extrémité ou à l’autre, elle est aussi verticale, au-dessus de sa tête, visible pour certains personnages et invisible à d’autres. Tout se fait dans un silence absolu, et comme par miracle: un lit, un fauteuil, des auto-tamponneuses apparaissent, puis disparaissent dans le noir créant une dynamique scénique incroyable.
Le son a son importance comme les lumières. Et dans une volonté réaliste, les acteurs portent des micros, qui créent artificiellement cette impression intime de la conversation. Le spectateurtente de reconstituer une vérité à partir d’indices dans les dialogues malgré des fonds sonores, airs connus de la radio, bruits de guerre ou tonnerre qui annoncent ou brouillent parfois le langage scénique. Bouleversé par la scène qu’il vient de découvrir, le spectateur est aussitôt happé par une autre tout aussi captivante. Ce qui n’est pas sans rappeler le zapping, mal du siècle pour certains…
À l’instar des personnages enfermés et prisonniers de leur drame, car la tranche de vie reste inachevée, en suspens et sans solution, le spectateur “étouffe” la dernière demi-heure. Il n’y a pas de pause dans cette violence noire qui va crescendo. Dans cette écriture de la rupture, l’essentiel est dit en quelques secondes. Les costumes, l’attitude, les dialogues cernent et établissent un paysage polychrome qui atteint un paroxysme jusqu’à la folie. En effet, le thème central de la séparation est décliné à l’envi, jusqu’à épuisement comme un exercice de style : séparation des coeurs, maladie, adultère, fugue, retour après 10 ans d’absence, mort d’un proche, suicide, désir inavoué qui devient plus fort que toutes les conventions sociales, viol de l’enfant, prostitution, mariage. Tout est exploité dans une sorte de surenchère dans le drame de la cellule familiale.
C’est souvent très glauque. Aucun espoir ne résiste à cette violence où les corps plient sous la vérité de la parole. Le spectateur témoin (ou voyeur ?) rit souvent heureusement car la mise en scène tient le plus souvent à distance l’affect. Si la visée est cathartique, l’effet est néanmoins très fort. J.Pommerat crée un dispositif scénique spéculaire, renvoyant le spectateur à lui-même. Nous sommes ces deux Corées de part et d’autre de la scène, séparées par un No man’s land où se rejouent les scènes de la vie, véritable ring car il y a combat des mots et des hommes. Dernière image sans espoir : les corps de deux comédiens se plient et se contorsionnent dans leur solitude tandis que d’autres indifférents continuent de danser.
On ne sort cependant pas indemnes de cette nouvelle création. Véritable travail de sape de la croyance naïve au bonheur et à l’amour.
Marie Torrès
La Réunification des deux Corées
Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli et Maxime Tshibangu
Du 17 janvier au 3 mars 2013
Tarifs : de 6€ à 30€
Ateliers Berthier
1, rue André Suarès
75017 Paris
M° Porte de Clichy
A découvrir sur Artistik Rezo :
– Les pièces à voir à Paris en janvier 2013 // février 2013
[Crédit photo : Élisabeth Carecchio]
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