Cendrillon – Joël Pommerat – Ateliers Berthier Odéon

S’emparant de ce classique posé dans les consciences collectives par Perrault et Grimm, Joël Pommerat propose une nouvelle lecture qui trouve un harmonieux équilibre entre lumière, vidéos, musique et un plateau sobre mais élégant et scintillant où le verre devient un matériau propice aux traversées et transparences de sens. Et de ce côté-là, l’auteur part en de nouvelles directions. Contrairement à ses illustres prédécesseurs, il part d’entrée de jeu sous le signe de la mort de la mère que l’on découvre alitée dès le lever de rideau.

Tout le déroulement du spectacle s’enchâsse dans cet instant où l’agonisante murmure quelques paroles décisives quant au destin de la petite Cendrillon. Les ultimes conseils donnés par la mère sonnent comme une injonction, ils orientent et structurent désormais le quotidien et la vie de l’enfant dont tout le chemin consistera à se libérer de cette parole sacralisée et qui d’ailleurs s’avère au final mal comprise… Ce en quoi la dérision se mêle au dramatique et permet l’envolée vers la légèreté, vie et mort ne pouvant fonctionner tout à fait ensemble.

Cendrillon n’est plus ici la ravissante jeune fille que l’on présente habituellement pas plus que le prince n’est charmant. L’auteur-metteur en scène se détourne de tous les clichés et débarrasse la trame narrative des placages esthétiques physiques, des risques de mièvrerie et d’apitoiements. Cette radicale option nous place devant un récit initiatique où l’on rentre aisément et souvent même par la drôlerie. L’amour n’est plus ici une histoire de belles robes, de frou-frou et de châteaux déconnectés de nos existences réelles, mais la résonnance de deux univers intimes, la rencontre deux attentes ou de deux appels. La méchante belle-mère est comique en sa vulgarité, le père largué et faiblard, la fée fume comme un pompier pour oublier sa fichue immortalité qui pèse lourd et le bal est une boîte de nuits avec vigiles. Et la magie s’opère de ce côté, par l’évasion qui vient de l’intérieur, le déverrouillement qui autorise le bonheur, le conte se faisant gai, réjouissant, amusant, bouleversant.

Universel

Joël Pommerat réussit à maintenir l’équilibre entre la portée universelle et sa lecture décapante, grâce à un alliage entre plateau nu et trouvailles d’éléments qui font rêver. Il noue la simplicité au fantastique, sans effets excessifs, par touches de cristal et de petites trouvailles de prestidigitation semées agilement. Tout en nous faisant entrer dans le conte sans le casting royal habituel, il ne nous prive pas du merveilleux, bien au contraire. La boîte à magie de la fée, la montre musicale de Cendrillon, les lumières qui découpent l’espace au sol, les paroles de la mère projetées sur un fond nuageux, créent le monde onirique qui emporte immanquablement les enfants et les adultes. Les comédiens emplissent la scène d’une émotion fine et aérienne. Leur belle interprétation nous emmène de la mort à la délivrance en un pas dansé où la grâce surgit du cœur comme de la boîte à magie. Si vous l’aviez manquée il y a quelques mois, courez voir cette reprise magnifique pour toutes les tranches d’âge.

Isabelle Bournat

Cendrillon

De et mise en scène de Joël Pommerat

Avec Alfredo Canavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Déborah Rouach, José Bardio et Nicolas Nore

Jusqu’au 29 juin à 20h
Le 23 à 15h – les 20 et 27 à 14h30

Tarifs : de 10 à 30 euros

Réservations par tél : 01.44.85.40.40

Durée : 1h35

Ateliers Berthier – Odéon
1, rue André Suarès
75017 Paris
M° Porte de Clichy

www.theatre-odeon.com

[Photo © Cici Olsson]