Boris Vian, une trompinette au paradis – Théâtre Dejazet
« Je voudrais pas crever… », écrivait-il dans l’urgence tendre d’un homme qui se sait condamné. Voilà plus de 50 ans que Boris Vian a fait faux bond à la vie, le 23 juin 1959, à l’âge de 39 ans (dans un fauteuil de cinéma) et c’est peu dire que cette fulgurance, mâtinée de jazz, d’insolence et de poésie, distille un petit air d’éternité ! Sans doute, mourir jeune est-ce l’assurance de ne jamais prendre une ride. Sans doute… Mais c’est aussi laisser derrière soi nombre d’inconsolables, salement ballottés par le temps, eux. Surtout quand il fait grise mine comme aujourd’hui. Du coup ils en redemandent, histoire d’enchanter cette époque tristouille. Et ils ont drôlement raison.
Pour preuve, ce grand enfant – bateleur et conteur généreux – qu’est Jérôme Savary. Il dit l’avoir croisé, l’auteur-trompettiste, « parolier de l’esprit des années 50 du Paris Rive gauche », un dimanche au Tabou, club mythique de Saint-Germain-des-Prés, alors qu’il était adolescent. Il dit surtout, du haut de sa soixantaine désormais rebondie, toujours en vadrouille, ne l’avoir jamais oublié. Tant mieux pour nous : Boris Vian une trompinette au paradis, le spectacle qu’il a écrit et mis en scène pour sa « petite troupe de saltimbanques » est un bonheur de swing, d’humour et d’images mêlés ! Tous les adolescents du moment, jeunes ou vieux, vrais ou faux, se laisseront emballer par cette parenthèse musicale, gorgée de cuivres, de couleurs, de clins d’œil et de confettis.
Tourbillon
Un déluge d’anecdotes gourmandes, plus ou moins vraies c’est selon, l’idée étant de réconcilier, comme chez le grand Boris, dadaïsme et émotion : on y croise donc Sartre, Beauvoir, Miles Davis, les frères Jacques, Mozart, John Wayne, Henri Salvador et Che Guevara, sans souci. Un tourbillon de chansons, surtout – On n’est pas là pour se faire engueuler, Le déserteur, Fais moi mal Johnny, J’suis snob, Le blues du dentiste et tant d’autres – qui nous rappelle à quel point l’irrévérence de Vian, tour à tour potache, élégante, mordante ou surréaliste, est moderne (Gainsbourg lui doit beaucoup).
Un talent d’autant plus manifeste qu’il s’exprime chaque soir en « live », s’il vous plait : l’orchestre des “Franciscains Hot Stompers”, sous la houlette de Philippe Rosengoltz, est épatant d’élan et de facétie. Idem pour la grande petite troupe qui accompagne Savary, leur maitre de cérémonie. Nina, sa fille, restitue à merveille la gouaille fragile d’une Magali Noël. Antonin Maurel, clown chantant et musicien, est vertigineux de malice, d’étrangeté, et de rythme. Quant à Frédéric Longbois, ténor léger de quelque… cent kilos, c’est un gagman irrésistible. A qui veut l’entendre vraiment, il donne d’ailleurs toute sa démesure dans Paris Frou-Frou, la dernière séance, autre proposition signée Savary (à 19h) : un hommage au monde crépusculaire du cabaret, aux côtés de l’étonnant comédien-transformiste Michel Dussarrat (maître d’œuvre des costumes de la Compagnie !).
Au fait, Boris Vian, une trompinette au paradis, est un spectacle tellement… juste, qu’il joue sa partition allègre sur la scène sans âge du théâtre Dejazet, là même où fut tourné Les enfants du paradis, film impérissable de Prévert et Carné.
Ariane Allard
Boris Vian, une trompinette au paradis
Jusqu’à fin novembre 2010
Du mardi au samedi à 20h30
Le dimanche à 15h
Informations et réservations : 01.48.87.52.55.
Théâtre Dejazet
41, boulevard du Temple
75003 Paris
M° République
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