« Tertullien » ou l’horreur des spectacles
Tertullien, un des piliers de la théologie chrétienne, a écrit environ deux siècles après JC un Traité contre les spectacles. Adaptée et jouée par Hervé Briaux, cette charge fanatique devient un monologue captivant.
Le metteur en scène a choisi avec raison d’écarter la robe de bure et tout accessoire qui pourrait rappeler directement la religion. Se contentant d’une table noire et d’une chaise, le comédien est en costume et il a l’art de projeter le texte avec des accents contemporains qui parlent au public. Prenant quelques libertés bienvenues avec l’écrit d’origine, il donne au Traité une résonance actuelle qui permet de débattre à nouveau et de se réinterroger.
Le regard bleu d’acier, la prestance impeccable, le timbre de voix grave, Henri Briaux offre une belle démonstration d’autorité. Quand l’éloquence est aussi raffinée et qu’elle se double d’un aplomb physique imposant, le propos pourtant terrifiant revêt des atours prestigieux. Et c’est là le danger de l’extrémisme, dès lors qu’il a le verbe haut et l’allure soignée. Le comédien, glaçant et direct, glissant de savoureuses pointes d’humour, séduit bel et bien son auditoire.
Le contenu du texte est pourtant férocement intolérant. Le cirque, le théâtre et toutes les formes de divertissement y sont honnis, considérés comme corrupteurs, dépravants et souillant l’âme. On y retrouve aussi la détestation des comédiens qui hélas a traversé les siècles, leur valant d’être excommuniés et de ne pas avoir droit aux enterrements à l’église, Molière en tête. La peur du péché et d’une punition dans l’au-delà traverse la diatribe haineuse de Tertullien, qui, craignant le diable nommé ici « l’autre », se prive des plaisirs terrestres et veut convaincre chacun de l’imiter.
Libre à chacun d’y entendre les échos d’une actualité, le rejet des spectacles ayant toujours de funestes adeptes. Ce qui est certain c’est que Tertullien est d’un autre temps mais le trouble délicieux suscité par le jeu et la comédie est intemporel : le balancement entre la vérité et le faire-semblant nous entraîne irrésistiblement aux spectacles et celui qui se joue au Théâtre de Poche nous procure une authentique volupté intellectuelle qu’il faut s’empresser de goûter.
Emilie Darlier-Bournat
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