Tendresse à quai : « Histoire d’un homme qui n’existait pas et qui ne voulait pas qu’on le sache »
Quand un vieil écrivain mène l’ultime combat de l’idéal contre la réalité, il ne faudrait pas en plus qu’une muse improbable vienne se glisser entre les pages du livre qu’il n’a pas encore rédigé et chambouler toutes les règles de l’écriture. C’est pourtant dans ce solide argument qu’on se laisse griser par ce récit sur un quai qui n’est cependant pas un roman de gare.
C’est cette histoire d’une rencontre au buffet de la gare entre un vieil écrivain (Henri Courseaux) en perte d’inspiration et une jeune femme (Marie Frémont) en perte d’emploi. Chacun, plus ou moins penché sur sa table de bistrot, élaborera dans sa tête l’histoire de l’autre. Elle lit un livre de Mallarmé, ce qui n’étonne pas Léon Brémont qui a obtenu le fameux Prix Goncourt il y a une trentaine d’années. Il est sensé être en partance pour Brive.
Il fallait trouver une dramaturgie à cette rencontre et Henri Courseaux, auteur et comédien, nous suggère d’y trouver là l’effet de la mise en abyme. Cependant, si le fameux effet de miroirs en cascade se décèle dans les rôles des deux personnages, nous serions plutôt au chapitre du théâtre dans le théâtre.
Stephane Cottin, (deux nominations aux Molières 2018 pour Le Lauréat au Montparnasse) metteur en scène sobre et imaginatif a écrit que face à Marie Frémont et à Henri Courseaux, ces deux acteurs, il ne lui reste « qu’à jouer avec toute la délicatesse de ces deux instruments d’exception si bien accordés l’un à l’autre ».
Un oiseau défroqué de ses plumes
On sonne à la porte et l’auteur est surpris d’avoir ouvert au personnage central de son roman. C’est une femme, elle vient prendre son texte à bras-le-corps. A telle enseigne que c’est corps à corps que se retrouveront la jeune femme et l’écrivain usé se jetant dans une danse onirique (Michel Winogradoff au son), elle en tutu blanc, lui en oiseau défroqué de ses plumes comme un phénix avant la chute. Il tombe d’ailleurs comme s’il pouvait périr dans l’océan.
Henri Courseaux, en auteur qui sait ce que mot veut dire, met ses pas dans ceux de Stéphane Mallarmé qui écrivait que « le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». Il le suit dans sa quête vers l’épure, vers le poème absolu.
Son personnage, Léon Brémont, ramène à lui tout le martyrologe de l’écrivain dépité par le peu de cas que l’on ferait aujourd’hui de l’écriture quand les livres sont remplis d’ampoulages et de clichés inutiles. Il est un auteur abîmé. Démonté par la critique de certains journalistes qui le malmènent à l’instar de Fabienne Pascaud (herself) de Télérama bien malmenée ainsi que son aérophage du Masque et la Plume. Ou encore la charge contre son éditeur Harcourt (toujours Henri Courseaux). On rigole franchement !
Ici les tares de la société moderne sont proscrites : téléphonie, cerveaux formatés, lexique de com, langage calibré entrepreneurial, gain, l’argent, compétition, être le meilleur etc.
Les comportements fabriqués sont bien différents du langage de l’amour n’a de cesse de répondre le vieil écrivain à sa belle Madeleine, laquelle au passage aspire à lui soutirer deux mille euros par mois.
Un monde qui ne sera jamais le sien
Léon Brémont parle différemment des autres gens et risque de ne pas plaire à tout le monde. Paul Bénichou (1908-2001) étudiait les rapports entre l’écrivain et la société dans laquelle il se trouve. Il semble pour sa part qu’Henri Courseaux ait placé son personnage dans un monde qui n’est pas le sien. C’est certes celui de Mallarmé ou encore celui de la mélancolie d’un Brel dont il admire la Madeleine qui ne reviendrait pas. Sa Madeleine se nomme en fait Colette, elle est son Godot au féminin, nous précise t-il, c’est Colette Godot.
Quitte à passer pour obscur voire incompréhensible aux yeux de beaucoup de profanes, l’auteur Henri Courseaux fait de son écriture, à travers sa créature, l’écrivain Léon Brémont « comme un privilège spirituel (…) elle semble élever au plus haut degré de qualité, moyennant l’exclusion de la foule profane, cette pure joie de l’esprit que toute poésie promet.» (Paul Bénichou – Selon Mallarmé, Gallimard, 1995.)
Vous aurez compris dés le début de la pièce que Léon Brémont est sans concession. Il a des élans enflammés, un discours heurté et sans aller voir du côté de Luchini, il nous inonde à sa façon d’un flot de paroles « où il doit surnager dans ses incohérences narratives.» On croit comprendre dès lors l’enfermement culturel (la culture est-elle une prison ? ndrl) dans lequel se vautre le personnage.
Madeleine-Colette (talentueuse Marie Frémont) nous rassure quand elle assène que « dès lors qu’on admet leur invraisemblance, tout est possible. » Elle est à la fois l’être éclairé sur son bout de table et un personnage quasi vénal. Un ange de tendresse qui nous touche lorsque Solange (toujours Marie Frémont) en sœur inquiète voudrait mettre Léon Brémont l’ex-Goncourt, en curatelle ! Autour du rapport immédiat que l’on fait avec la maladie d’Alzheimer, c’est certainement là, un des plus beau extrait de cette pièce courageuse, intéressante et bien justement interprétée. Mais lucide, le vieil écrivain, qui va jusqu’à douter de l’existence de sa propre mort, nous lance : « L’écriture, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas ! »
Surtout quand une muse vous murmure : « Il suffit qu’une femme vous parle et vous existez ! »
patrick duCome
Lumières : Marie-Hélène Pinon
Son : Michel Winogradoff
Costumes : Chouchane Abello Tcherpachian
Choregraphie : Jean-Marc Hoolbecq
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