“Tempest project”, Shakespeare en condensé aux Bouffes du Nord
Tempest project est une adaptation de La Tempête de Shakespeare (1564-1616), conte fantastique et fable politique. La pièce revisitée par Peter Brook (né en 1925) et Marie-Hélène Estienne est issue d’une recherche collective avec un groupe de comédiens. Cette création est actuellement à l’affiche des Bouffes du Nord, Théâtre ressuscité par Micheline Rozan et Peter Brook en 1974.
Le décor est épuré dans l’écrin des Bouffes du Nord dont le rouge pompéien des murs rappelle un Théâtre antique. La pièce Tempest project met l’accent sur la musicalité de la langue autour du thème de la liberté.
Promesse de liberté
Prospero (Ery Nzaramba) a déclenché une tempête pour faire échouer dans l’île où il est exilé son frère qui lui a volé son royaume et le roi de Naples, allié du complot. Il est rongé par un désir de vengeance et tout occupé par son “art”, la magie, qui l’avait éloigné du pouvoir politique. Prisonnier de son passé, Prospero capte l’attention des spectateurs à qui il s’adresse dès le début de la pièce. Malgré certains moments tendus, il fait rire avec malice. Il est soutenu par Ariel, esprit des airs bienfaiteur et coquin – Marilú Marini à la forte présence scénique et dont la gestuelle est constamment en mouvement. Ariel est un serviteur fidèle et loyal, touchant par sa sensibilité. Avec courage, il rappelle à Prospero, sa promesse de liberté.
Caliban – Sylvain Levitte qui joue également le prince de Naples -, est l’esclave dont la colère gronde. “Cette île est à moi, par Sycorax ma mère, et tu me l’as prise”, reproche-t-il à Prospero. Tous deux ne partagent pas le même niveau de langue et ne sont jamais en phase. Le dialogue écrit vers 1611 est étonnant de modernité. Il a été repris pour traiter des ambiguïtés de la colonisation notamment par Aimé Césaire (1913-2008).
Caliban voudrait être libre mais très vite, pour nuire à Prospero, il se soumet à de nouveaux maîtres, les pétillants Fabio et Luca Maniglio qui incarnent des ivrognes bêtes et avides. Sylvain Levitte est épatant dans deux rôles que tout oppose : Caliban, l’opprimé qui crie sa hargne, et Ferdinand, fils du roi de Naples aux belles aspirations.
Un effet miroir
Prospero assiste à la rencontre entre sa fille Miranda – interprétée par la magnétique Paula Luna – et Ferdinand qui tombent amoureux. Mais les épreuves s’abattent sur le jeune prince. Il parvient à résister : “La bassesse peut être vécue avec noblesse et une situation très dure peut contenir un riche espoir.”
La scénographie dépouillée permet d’être au plus près du verbe. Pour Peter Brook, le comédien doit faire confiance à la résonance des mots et à la qualité du silence pour faire éclore l’imaginaire. La lumière crée un enchantement notamment pendant le moment de la “cérémonie de mariage”, passant du rouge flamboyant à des jeux d’ombres, devenant bleutée. Le surnaturel est surtout représenté par le jeu d’Ariel, accompagné par la voix profonde d’Harué Momoyama.
La pièce Tempest project regroupe les principaux thèmes de l’œuvre prolifique de Shakespeare : les jeux du pouvoir et des passions, la nature humaine… Le sujet de la fragilité du théâtre ou des illusions de la vie est évoqué de façon magistrale par Prospero, duc déchu qui finira par pardonner à ses anciens ennemis : “Ces acteurs n’étaient que des esprits qui se sont dissous dans l’air (…), tout va se dissoudre comme ce spectacle éphémère, ne laissant aucune trace.” À l’épilogue, Prospero évoque le sortilège du spectacle et son souhait de s’en défaire. Il s’agit des dernières phrases de Shakespeare dans son ultime pièce. Les liens établis par Brook avec Shakespeare créent un effet miroir troublant.
Depuis le début de son parcours, le dramaturge fasciné par Shakespeare est dans la recherche, mais il n’a jamais trouvé de réponse définitive : “Tous les sujets qui concernent l’être humain sont contenus dans ses pièces et dans chacune, il existe un sens mystérieux.”
Tempest project est une traversée théâtrale avec des phrases choisies par Peter Brook pour leur résonance. Les chants de la bande sonore ont été enregistrés il y a plus de vingt ans, la nuit, aux Bouffes du Nord. Le public est ébloui par les lieux, la proximité avec la scène, les comédiens, l’atmosphère à la fois intimiste et puissante. À la fin de la représentation, les spectateurs se pressent pour rejoindre le plateau, prendre des photographies. Le Théâtre des Bouffes du Nord, ancienne ruine sortie de l’oubli par Peter Brook, à deux pas du Métro de La Chapelle, est certainement une des plus belles scènes parisiennes.
Assister à une pièce mise en scène par le célèbre dramaturge, c’est aller à la rencontre d’une personne rare et c’est particulièrement vrai aux Bouffes du Nord.
Fatma Alilate
Le texte Tempest project, adaptation de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne d’après la version française de Jean-Claude Carrière de La Tempête de William Shakespeare, est publié chez Actes Sud-Papiers.
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