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“Tartufo” à la sauce Bellorini

jean-bellorini-Il-tartufo-moliere © Ivan Nocera

© Ivan Nocera

Le directeur du TNP monte son premier Molière avec des interprètes du Teatro di Napoli Teatro Nazionale. Un réjouissant Tartuffe, enlevé et poétique. Bref, al dente !

Murs cracras et cuisine vétuste d’un côté, intérieur bourgeois décrépi de l’autre : nous voilà transportés dans le Naples de la fin des années 1960. Affreux sales et méchants ? Dans son chef-d’œuvre, le cinéaste Ettore Scola ne fit-il pas dire à Giacinto, le tyran qui règne sur sa famille : “Je renonce à Satan qui est l’auteur du péché” ?

Dans Tartuffe, Orgon fait justement entrer le diable dans sa maison. Au centre, la croix, grandeur nature, domine ce petit monde. Le Christ, qui s’y hisse péniblement, a plutôt l’air d’un vicelard désœuvré, lui-même un imposteur. Plus rien à se mettre sous la dent ! Les donzelles de la maisonnée sont déjà bien convoitées. Aveuglé, le patriarche vient de se faire escroquer par un curé bien peu orthodoxe qui vise la fille pour mieux « se taper » la mère. Tartuffe parvient effectivement à mettre la main sur un sacré magot car, si Mariane lui échappe de justesse, Elmire passe presque à la casserole, dans une scène de la table particulièrement réussie !

jean-bellorini-Il-tartufo-moliere © Ivan Nocera

© Ivan Nocera

Spaghettis à la napolitaine

Non, ce Tartuffe-là n’est pas inquisiteur. Il ne provoque pas l’effroi comme dans d’autres versions (Planchon, Mnouchkine, Ivo van Hove). Plus proche de Don Camillo, il est juste ridicule. Glouton et amateur de bonne chère, son appétit est vraiment gargantuesque. Apparemment bien sous tout rapport, Orgon, « chef » de clan version napolitaine, est plus terrifiant. Bien que victime du faux dévot, il court à sa perte par son inconsistance et son aveuglement. Et puis la question du mariage forcé raisonne fort. Polysémique, la pièce de Molière ne se prête-elle pas à moult interprétations ?

jean-bellorini-Il-tartufo-moliere © Ivan Nocera.

© Ivan Nocera

Tous les personnages sont bien campés et les interprètes, volubiles et engagés, sont animés par un jeu instinctif salvateur : dans sa chaise roulante, Madame Pernelle ne s’en laisse pas conter, une nonna comme on n’en veut surtout pas ; pour autant, Dorine ne manque pas d’impertinence ; Flipote est clownesque à souhait ; Valère n’est pas le gendre classique (Jules Garreau, seul comédien français, surprend de bout en bout).

Quant aux costumes de Macha Makeïeff, ils sont remarquables : un détail révèle la personnalité de chacun, comme les chaussettes rouges sous la soutane de Tartuffe, parfaitement adaptée pour ses ronds de jambe. Une attention spéciale est portée aux personnages secondaires : pantalon étriqué pour Cléante, habité par une folie douce inhabituelle, legging de skaï noir moulant pour le Christ.

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© Ivan Nocera

Férocement drôle

Les robes courtes annoncent aussi la libération des mœurs car la révolte gronde. Commérages et confidences, prises de bec, ici, on tape sur la table pour défendre ses convictions. Si Jean Bellorini retient l’idée de la farce, il redonne du lustre à cette formidable parabole sur tous les abus de pouvoir. Outre cette famille qui se déchire à cause d’un père autoritaire, outre l’allusion au déclin de la bourgeoisie et la remise en cause de l’intégrisme religieux, il fait bien ressortir la fin artificielle, un clin d’œil au roi qui censura les premières versions de la pièce.

Jean Bellorini, qui ne cesse, dans tous ses spectacles et dans la vie, de démêler le vrai du faux, démonte vraiment la mécanique du mensonge avec finesse : ne pas se fier aux apparences ! Jamais. Le répertoire italien apporte une couleur locale à l’inénarrable saveur, mais quelle terrible réalité derrière le kitch (playlistincroyable : Amor mio (Mina), Buona Notte (Toto Cutugno), etc.).

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© Ivan Nocera

Excellent directeur d’acteurs, Jean Bellorini conçoit aussi de belles scénographies. Attentif au moindre détail, il utilise l’avant-scène comme confessionnal. Les lumières alternent entre froideur blafarde et chaleur crépusculaire. Comme les enjeux dramaturgiques, tous scrutés à la loupe : le bien et le mal, le vrai et le faux, la lutte des classes…

Toutefois, malgré la gravité des sujets, on sent le changement d’époque. La formidable traduction réchauffe le texte. Tartuffe résonne fort bien de ces sonorités italiennes. Les portes claquent et les répliques fusent. On songe à Goldoni. Oui, bravo pour ces partis pris audacieux, cette mise en scène poétique et enlevée, où vivacité d’esprit et de jeu apportent une sacrée légèreté à l’ensemble. Bravisimo !

Sarah Meneghello

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