Suresnes Cités Danse : le hip hop universel
Les retrouvailles de Kader Attou et Mourad Merzouki, un pas de quatre pour deux B-Girls et deux pianistes, une rencontre décolonisante entre danses urbaines et quadrille antillais, une Danoise qui fait breaker en hommage aux Inuits… Entre Copenhague, le Canada et Casablanca, la 27e édition de Suresnes Cités Danse fête le hip hop en danse-monde !
Danses urbaines ? Danses populaires ! Le hip hop, le quadrille, la forme pure ou de la joie à foison… Depuis vingt-sept ans, le festival Suresnes Cités Danse œuvre pour que les univers chorégraphiques cessent de se regarder en chien de faïence. Et on peut dire que la mission est sacrément réussie. A Suresnes, aucune contradiction entre danses urbaines, danses sociales, danse contemporaine, classique ou danses de cour. Egalité + fraternité = liberté…
Tout commence par La Finale
En démarrant la 27e édition par La Finale, Olivier Meyer, inépuisable fondateur du festival et fin politique de la danse, confie le spectacle d’ouverture à une spécialiste absolue du métissage chorégraphique. Il fait appel à Josette Baïz, la fondatrice du Groupe Grenade et de la Compagnie Grenade, où se croisent tous les univers de la danse, grâce à la mixité culturelle des quartiers d’Aix-en-Provence et de Marseille, lieux de naissance de tous les jeunes qui passent ici dans une école de danse qui peut les amener jusqu’au Théâtre de la Ville.
Le but affiché de La Finale est, paradoxalement, de démarrer le festival sur un ton joyeux, mettant en scène huit danseurs, entre break, claquettes et krump. Et non, il n’y est pas question de la coupe du monde de football, rassurez-vous. Le titre fait allusion à une compétition de danse, une battle donc (pour parler hip hop), sous forme d’audition, ce qui livre le prétexte d’un hommage aux danses urbaines et aux danseurs. Et la musique de La Finale est une commande faite au compositeur de comédies musicales Thierry Boulanger, pour sa capacité à traduire en notes le suspense de la compétition.
Le quadrille antillais en mode urbain
Le quadrille, danse de cour française, s’est transformé, aux Antilles, en danses créoles. Aujourd’hui, on le danse encore, au sein d’associations. Amener cet héritage au festival Suresnes Cités Danse est une façon élégante d’évoquer l’époque de l’esclavage, mise en rapport avec les danses urbaines actuelles. Chantal Loïal crée Cercle égal demi cercle au carré avec sa propre compagnie, Difé Kako, et des danseurs de quadrille guadeloupéens, dont une adepte éternelle affichant fièrement ses soixante-quatorze ans!
Un transfuge montréalais
Faire circuler les énergies et les sensibilités, voilà l’ambition d’Olivier Meyer qui a créé le festival de danses urbaines le plus persistant de la planète. Et cette culture chorégraphique ne cesse de faire boule de neige, hiver par hiver, à Suresnes et ailleurs. Il n’y a qu’à regarder la coqueluche actuelle de Suresnes Cités Danse, un chorégraphe qui a su passer du hip hop à la danse classique: Andrew Skeels. Cet Américain reconverti Montréalais a marqué chaque édition du festival, depuis 2016. Il reprend cette année Finding Now, la pièce de clôture de l’édition 2018 avec la distribution originale pour faire revivre ce dialogue entre danses hip hop, classique et contemporaine.
Melting Spot en plein melting pot
Autre invité régulier: Farid Berki. Le fondateur de la compagnie Melting Spot propose Presqu’ils, un trio masculin qui s’adresse aux spectateurs à partir de six ans, pour « parler de la construction de la personnalité avec légèreté et innocence, dans un hymne à la curiosité », comme l’annonce Berki pour cette « pièce visuelle en référence à Méliès et aux films d’animation de Roland Topor ». Et on remarque une fois de plus à quel point les approches et les intérêts des chorégraphes hip hop rejoignent ceux de la danse contemporaine.
Danser Casa(blanca)
Autres retrouvailles à Suresnes : Celles avec Kader Attou, venu régulièrement au festival, et Mourad Merzouki (à Suresnes pour la première fois depuis 1997) avec leur création commune Danser Casa où huit b-boys marocains puisent dans leur quotidien une danse pleine d’émotion, qui porte en elle l’esprit de leur environnement urbain. Les deux cofondateurs de la compagnie Accrorap revivent là en quelque sorte l’esprit pionnier et authentique de leurs premières heures, en travaillant avec huit danseurs sélectionnés à Casablanca.
Inuits, Vikings et Super-humains
Olivier Meyer sait aussi nous surprendre, en tirant de son chapeau : La ville de Copenhague est peu présente sur notre carte chorégraphique. Et c’est là justement qu’il a trouvé Lene Boel, fondatrice de la compagnie Next Zone, qui interroge l’hybridation entre l’humain et la technologie et décline la danse hip hop à travers un langage contemporain personnel. Ses trois pièces invitées à Suresnes sont peuplées, selon leurs titres, d’Inuits, de Vikings et de super-humains. Boel travaille autant avec des B-Boys présents dans les battles qu’avec ceux qui ont ouvert les portes des studios de danse.
Danseuses et pianistes
Anthony Egéa, penseur et novateur d’une finesse toute particulière, a imaginé un quatuor féminin entre deux pianistes : perfection formelle, dialogue ciselé entre danseuses et musiciennes (Duo Jatekok) interprétant Bizet, Ravel ou encore Débussy. Voilà donc quatre muses, visiblement très inspirantes. Muses s’annonce comme la proposition la plus radicale de la 27e édition, à ne rater sous aucun prétexte.
Les deux danseuses Muses ont par ailleurs marqué l’histoire de la compagnie Rêvolution fondée par Egéa. Car la première, Emilie Sudre, n’est autre que la créatrice de Soli 2 d’Anthony Egéa, présenté à Suresnes en 2007. Emilie Schram lui succède aujourd’hui dans le même rôle. Il n’est que logique qu’elle interprète Soli 2 également dans cette 27e édition de Suresnes Cités Danse, mettant ainsi le festival et la pièce à l’épreuve du temps.
Hip hop aérien
Dans la même soirée, on verra aussi Cross Over, signé Mickaël Le Mer. « C’est un hip hop aérien et sans sneakers, où les danseurs s’effleurent et se touchent », dit-il de cette pièce pour huit danseurs au titre emblématique de la démarche de Suresnes Cités Danse, ici présentée dans une version de quarante minutes, particulièrement intense et centrée sur le mouvement, les éléments scénographiques restant au dépôt. S’y ajoutent d’autres petites formes, comme l’intriguant projet El Gedji de Rafaël Smadja (le partenaire de Jann Gallois dans Compact), basé sur le témoignage d’un Egyptien de 84 ans, ayant émigré vers la France dans les années 1950.
Thomas Hahn
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