Stéphanie Mathieu – interview
Durant une heure, qui passe à la vitesse de l’éclair, Stéphanie raconte, quelques feuilles à la main, sa vie. Mais il y a plus : son rapport à son métier, que dire, ses métiers : modèle pour des artistes, comédienne, danseuse de revue. Et il y a plus aussi : au travers de cette épopée dépouillée, c’est le spectateur qui est invité à se retrouver. Qui est vu, observé, dit, relaté, analysé ? Tout un chacun. Riche de son parcours et de ses formations de danse et de jeu d’actrice, immobile sur son fauteuil, évoquant la nudité sans jamais la montrer, Stéphanie parle de l’humain. Ses déroutes, ses failles, ses doutes, ses joies et ses états d’âme qui sont avant tout des états de corps.
Emus et bouleversés par le récit d’une femme en quête de sérénité, dans le cadre de la soirée d’inauguration à Toulouse du festival Neuf 9 qui se tiendra du 23 au 25 novembre 2012 à Auterive dirigé par Samuel Mathieu, nous avons eu envie d’en savoir plus sur l’origine de ce solo atypique et renversant. Elle s’assied, parle, rit d’elle, se dévoile mais avec pudeur, déplore mais sans pathos, regrette, revient sur le passé, mais pour mieux se propulser vers l’avenir. Elle finit par allumer une cigarette pour entamer la communication plus frontale avec le public. Le rideau tombe.
Stéphanie, parle nous d’Anne Kessler, à l’origine de ce projet…
Anne est une femme que j’ai rencontrée par le biais d’Hubert Saint Macary. Elle est venue me voir jouer un soir au théâtre, dans une pièce Fille de joie à l’Aktéon. J’ai diné avec elle. Et c’est comme si j’avais eu un coup de foudre d’amitié. Elle m’a parlé de mon travail d’une façon différente. Est née cette amitié. J’ai vu ses spectacles au Français, en tant que metteur en scène et actrice. Je lui dis souvent que c’est un cadeau de l’avoir rencontrée. Une fascination réciproque est née. Nous nous sommes alors dit que nous travaillerions ensemble. Un soir, je jouais au théâtre, et une amie éditrice, Joëlle Losfeld, sur cette pièce d’Israël Horovitz, vient me voir. Je sors de scène, on va boire un verre. Nous restons à la fermeture du bar. Elle me dit qu’elle me donne de l’argent et que je monterais le spectacle que je veux. Les bras m’en tombent. Croyant d’abord au effets de l’alcool, le lendemain, elle me le confirme. Je me suis demandé pourquoi on me faisait confiance. Et en même temps, j’ai ressenti un bonheur immense ; mais complexe. Pourquoi moi ? Je suis allée voir Anne Kessler. Je lui ai raconté ce qui m’arrivait. Elle m’a soumis l’idée d’une seule en scène, autour de l’idée la pose de modèle. Et ça m’a parlé tout de suite. Anne m’a dit que j’avais besoin d’être identifiée, et que le sujet de la pose était passionnant. Son enthousiasme a résonné : j’ai écrit. Tout a démarré ainsi.
N’est-ce pas risqué de t’être entourée de ton compagnon et de ton frère ?
Si ! c’est très risqué. Samuel est arrivé à Paris. Et a déclenché le fait d’écrire tous les jours pendant trois mois. J’ai alors envoyé le texte à Samuel et à Hubert, dans un trac énorme. Hubert m’a fait part de son enthousiasme. Un ami écrivain Nicholas Elliott, m’a dit qu’il était emballé. Restait mon frère. Il finit par appeler. Il pleurait : « c’est super. Tout est là ». J’ai donc eu une validation totale. Ce fut le point de départ.
Dans ton monologue, tu évoques à l ‘envi la solitude. Est-ce pour toi un état de fait ou un désir ?
C’est un état de fait et un désir. J’aime ces moments de solitude. Je ne pourrais pas exister sans cesse avec le regard de l’autre, même si je l’aime profondément. C’est un désir de vie que de préserver ces moments. J’ai besoin de ça pour écrire. Avant, j’écrivais des chansons et il en était de même. La solitude, c’est la liberté. Je peux y dire qui je suis. Sortir des choses qui sont dans ma tête et qui ne peuvent sortir que là. Même si l’échange est important. La solitude est essentielle, vitale. Ceci ne renie pas l’amour et l’amitié. Si je n’ai pas des moments de solitude, je me perds, ne sachant plus qui je suis.
La solitude, c’est la liberté. Mon âme peut exister par elle. Car autour, je n’ai pas de jugements.
La religion de ta famille, que tu évoques avec ta grand-mère et ta tante, est-elle traitée avec ironie ou tendresse ?
Elle est traitée avec ironie par rapport à ma grand-mère et de tendresse par rapport à ma tante. C’était une femme habitée par Dieu. Elle était très coquette, syndicaliste, allait à la messe tous les jours, allait faire des retraites mais avec des hommes ! C’était une femme très douée, qui écrivait très bien…Elle est passée à côté de sa vie de femme. Quant à ma grand-mère, elle parlait de religion sans la pratiquer. Elle transmettait sans être concernée.
Le monologue parle surtout du désir d’être aimée, pour ne pas être oubliée, de ne pas passer au tamis de l’insignifiance. Est-ce une obsession pour toi ?
Non pas tant que ça…Quoique j’ai écrit ce texte. La reconnaissance va bien au-delà du statut d’artiste : dire aux gens que j’existe, que je suis à ma place. Tomber dans le trou, c’est la mort. Comme si je n’ étais jamais venue au monde. Transparente. La reconnaissance à laquelle j’aspire est d’être au bon endroit. Qu’une parole va revenir, un échange, de la vie….
Le fait de ne pas être reconnue conduit-il à la mort ?
Il y conduit quand on parle de la reconnaissance vitale, affective. Pas dans le métier. Du moins pour moi. Ne pas se sentir aimée, oui, conduit à la sensation qu’on m’a volé mon âme, que je me suis construit sur du sable.
Comment, justement, appréhendes-tu la grande faucheuse ?
En elle-même ; plutôt dans un état rock and roll ! Ce qui est plus angoissant, c’est la maladie et la souffrance. La mort est nécessaire. Le plus angoissant, c’est la déchéance physique et mentale.
Tu évoques la temporalité du modèle, l’ennui. Or pour Schopenhaueur, nous courons pour échapper à l’ennui et c’est en réalité une avancée vers la mort…
Oui. C’est un espace temps extraordinaire d’avancée dans le temps. On va vers la mort et l’ennui y conduit. Mais ces moments d’ennui rallongent le temps, ils obligent à trouver des choses, fouiller l’imaginaire. C’est presque du sursis. Cela m’amène un plus : à la pensée de la mort et du coup à gagner du temps. Cela me rajoute des choses, comme si ça me donnait plus de temps à vivre.
Comment, à notre époque, qualifierais-tu une femme libre ?
Déjà, une femme qui sait faire la différence entre le désir et l’amour. Je trouve bidon cette image de prince charmant….Une femme qui choisit et qui a l’audace de vivre et /ou de créer. Je pense à Louise Bourgeois. Elle a décidé de vivre, créer, exister, avec cette audace. Sur tous les plans : affectif, sexuel , professionnel. Une femme qui a envie d’aimer est une femme libre.
Quelles sont tes failles ?
La peur. Comme je le sais, je pare à tout. Un grand manque de confiance en moi. J’essaye de faire sans. C’est une faille même si on en est conscient. On la trimballe toute sa vie. Parfois je suis orgueilleuse. De l’orgueil mal placé. Parfois aussi je n’arrive pas à me mettre en colère.
Que vois-tu pendant ta lecture des spectateurs ?
Je ne vois pas, je ressens. Comme si j’entendais avec mon corps une tension physique de leur corps à eux. Comme si j’avais le droit de les toucher au fond. Je peux leur dire des choses que je pense. Et je suis très heureuse de partager ça, comme à Toulouse le 17 septembre. Jamais je n’aurais pensé pouvoir écrire ce que j’ai écrit et pouvoir surtout le dire comme ça. Cela m’a donné confiance en moi….
Dirais-tu que tu milites pour l’impudeur ?
Non. Je ne crois pas. On peut parler d’impudeur à travers ce texte car j’en ai marre de ces choses bien dites au bon endroit. Je suis en colère…..J’ai besoin de dire des choses, mais je ne crois pas que ce soit impudique. J’en ai assez de me taire, de faire plaisir au désir de l’autre. Et si c’est de l’impudeur, je l’assume.
Pourquoi avoir choisi la forme de lecture avec les textes à la main ?
C’est l’exercice de lecture, pas un choix. C’est un fait courant chez les comédiens. La lecture se fait très couramment.
Comment est venue l’idée de traiter la nudité du modèle que tu es sans en montrer la concrétisation ?
C’est un proposition de mise en scène. Je pourrais être nue. On pourrait le penser. La nudité et le texte en même temps sont compliqués : le spectateur ira vers le corps, pas le texte….Si elle apparaît ,elle apparaitra à la fin. Les deux ne sont pas possibles.
Es-tu une artiste heureuse ?
Oui ! Je suis heureuse avec plein de malheurs, et de doutes. Je suis heureuse de faire ce que je fais, mais avec tant de doutes. Une artiste heureuse ne signifie pas sans souffrances. On est faits avec ça , on se débrouille pour que la souffrance nous rende heureux….
Propos recueillis par Bérengère Alfort
De pose
Un spectacle écrit et lu par Stéphanie Mathieu
Sur une idée originale d’Anne Kessler, sociétaire de la Comédie Française
Mis en scène par Hubert Saint Macary et Samuel Mathieu
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