Stéphanie Freyer : “On a besoin de vibrer avec le public, on a besoin de vibrer ensemble sur un plateau”
Rencontre avec Stéphanie Freyer, danseuse et fondatrice de l’EPAS : École professionnelle des Arts de la Scène. Elle nous parle de son parcours et de la naissance de son école.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai commencé la danse en amateur toute petite et c’est vers l’âge de 14-15 ans que je me suis dit que c’était une voie dans laquelle j’avais envie de me diriger professionnellement donc j’ai multiplié mes participations aux stages et à des concours.
A 18 ans, je suis partie me former à Epsedanse à Montpellier en tant que danseuse et professeure de danse. Je suis restée 4 ans dans cette école pour obtenir mon diplôme d’Etat de professeure de Jazz. Je faisais partie de la compagnie de l’école d’Anne-Marie Porras. Et j’ai fait la connaissance de Bruno Agati dont j’ai intégré la compagnie et dansé dans une pièce qui s’appelait “Zapping” à Paris au Théâtre Mogador, jusqu’à ce que je décide d’enseigner. J’ai alors intégré un conservatoire en tant que professeure de danse jazz en région parisienne où j’ai enseigné 10 ans. De retour dans ma région à Mâcon il y a 5 ans, c’est là où une opportunité m’a permis de créer l’EPAS. La rencontre avec une personne qui avait un lieu en campagne,”la Ruche” à Saint-Étienne-sur-Chalaronne qui est un superbe lieu d’accueil d’artistes. Malheureusement, on était tellement excentrés, loin des villes avec des étudiants jeunes qui n’ont pas forcément le permis, on a alors eu l’opportunité de déplacer la formation sur Mâcon en 2018. En parallèle, je travaillais pour le conservatoire à rayonnement régional de Chalon-sur-Saône, en tant que professeure de danse jazz. Cela me permet d’avoir les deux pieds dans la formation que ce soit au conservatoire ou à l’EPAS où je dirige l’école, je coordonne tout le cursus et j’enseigne en danse.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez basculée dans l’enseignement ?
Un choix familial, je voulais avoir des enfants donc c’est vrai qu’être toujours en déplacement pour des spectacles ou à la course aux casting n’était pas une situation suffisamment stable pour fonder une famille. Pendant un moment j’ai continué à danser mais beaucoup moins, par exemple avec un déficient visuel parce que j’ai toujours travaillé avec des personnes handicapées, j’avais monté un duo qui s’appelait “danse avec mes yeux”, une personne très malvoyante avec qui on avait composé un duo qu’on a pu danser lors de festivals. Actuellement je danse toujours pour la compagnie La Petite Lune qui est une compagnie pluridisciplinaire mais qui ne tourne pas en ce moment. J’ai aussi l’âge pour enseigner plus que danser, j’ai 42 ans et le pas vers la formation c’est fait surtout il y a 5 ans, ça me plaît beaucoup d’accompagner des jeunes vers leur projet professionnel. C’est pas juste transmettre des cours de danse, c’est bien plus large. On est vraiment sur un accompagnement de A à Z autour de l’artistique mais aussi tout ce qui est management, communication, préparation aux castings. On sort du cadre du cours uniquement technique.
Est-ce qu’aujourd’hui après 5 ans depuis l’ouverture de votre école vous pouvez nous faire un point ?
On a traversé pas mal de tempêtes entre un changement de lieu, des élèves qui devaient nous faire confiance. On était une nouvelle école donc ce n’est pas facile. Le recrutement des formateurs a évolué avec des gens qui finalement ne rentrait pas dans l’idée que j’avais de l’EPAS et de notre accompagnement plutôt familial. On est vraiment sur une petite structure, 20 étudiants au total sur les 3 années de formation et on veut vraiment avoir du temps pour accompagner chacun de nos élèves donc on est très loin de l’usine à artiste. Au bout de 5 ans, c’est un projet qui prend son envol, qui prend de la place, qui commence à attirer de plus en plus de monde, qui devient solide avec des intervenants qui s’engagent sur plusieurs années et qui sont de qualité. Je vois évolués les candidats vers un niveau professionnel, on attire également des candidats de plus en plus aguerris, passionnés. Au départ on est un petit chez nous par hasard parce qu’on voulait éviter Paris et maintenant j’ai l’impression que même si on est Parisien on peut nous choisir pour ce côté familial, petite ville, préparation à la scène avec pas mal de dates dans l’année qui sont proposés à nos jeunes alors que sur Paris on a un spectacle à l’année car le coût de location est beaucoup plus important.
Vous sentez une volonté des élèves de se décentraliser de Paris ?
Moi c’est clairement ma volonté, après avoir habitée 15 ans sur Paris, je connais très bien le terrain parisien et en revenant dans ma région d’origine j’avais envie de la faire vivre et prouver à nos jeunes qu’on est pas obligé d’être sur Paris pour travailler dans un milieu artistique. Ici il y a peut-être moins de castings que sur Paris mais justement on a plus de visibilité et de chance. Mais surtout il faut savoir innover, entreprendre, il faut monter ses propres projets et c’est pour ça qu’on met un point d’honneur au processus de création dès le départ de la formation pour que chacun des artistes en devenir comprenne bien qu’il ne suffit pas d’être un bon interprète, un bon technicien mais il faut aussi avoir des idées, du culot, de l’ambition, être autonome pour monter ses propres créations, c’est comme ça qu’on devient un artiste.
Avec le contexte actuel est-ce que vous arrivez à trouver des moyens d’innover ?
Dans un premier temps, on s’est adaptés au contexte en proposant des cours à distance donc ça nous a obligés à aller sur d’autres terrains, à parler plutôt culture artistique ou des terrains plus théoriques et de faire avec les contraintes d’espace que chacun a. Depuis le déplacement sur La Cave à Musique les cours reprennent à peu près normalement. Les projets qui émergent sont plutôt des projets de captations de spectacles si jamais on avait pas la possibilité de les faire avec un public. On partirait sur des spectacles qui seraient diffusés sur les réseaux.
On prépare un spectacle pour mars dans lequel nos étudiants vont tester leurs propres idées de création. On appelle ça “la création des étudiants”. Chaque année on offre la possibilité à nos jeunes de venir tester l’écriture, leur idée de composition, de mise en scène, leur chanson, chorégraphie personnelle, seul ou en groupe et on a des intervenants qui les accompagnent. On a par exemple Mélanie Guth, marraine de l’EPAS cette année qui accompagne nos jeunes en spécialité théâtre dans l’écriture théâtrale. On a aussi une professeure de danse contemporaine, Lisa Bicheray, qui amène nos spécialités danse à composer au niveau chorégraphique. Et puis Louis Delort qui a intégré notre équipe de formateurs permanents, il donne des cours de chant individuel, accompagne aussi nos spécialités chant dans l’écriture. Je trouve que c’est une chouette visibilité qu’on donne aux créations de nos étudiants, ça leur permet vraiment de découvrir leur personnalité artistique, de se projeter davantage sur la suite et de tester leurs idées face à un public. C’est formateur.
Peut-être que nous sommes avec cette crise dans une période charnière et qu’il reste tout à ré-inventer dans le spectacle vivant, qu’en pensez-vous ?
Oui, j’espère qu’on gardera quand même au centre de notre travail le relationnel, l’humain, l’échange et la proximité malgré tout parce que ce serait triste qu’on ait plus de spectacle vivant. On a besoin de vibrer avec le public, on a besoin de vibrer ensemble sur un plateau et basculer vers le tout virtuel serait un déclin de nos formes artistiques.
Est-ce que vous avez des gros projets, rêves pour la suite de l’EPAS ?
Nous avons envie de continuer sous cette forme d’accueil de nos étudiants en espérant satisfaire de plus en plus de jeunes, de voir aboutir leurs projets sur scène. Pour l’instant on a encore pas trop ce recul, le cursus durant 3 ans, on a 5 ans d’ancienneté donc on a hâte de voir dans 10 ans ce que ça donnera. Une étape qui sera importante pour nous se sera l’acquisition d’un lieu puisque là on est pas autonome et on subit un peu les aléas que le lieu d’accueil nous impose. J’aimerais qu’on puisse développer encore plus les projets de l’EPAS avec des stages, peut-être une deuxième classe d’étudiants mais il faut avoir le lieu qui le permette.
Plus d’information sur le site de l’EPAS.
Propos de Léa Richard
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