“Splendid’s”, redécouvrir Genet
Splendid’s De Jean Genet Mise en scène d’Arthur Nauzyciel Avec Jared Craig, Xavier Gallais, Ismail Ibn Conner, Rudy Mungaray, Daniel Pettrow, Timothy Sekk, Neil Patrick Stewart, James Waterston et la voix de Jeanne Moreau Jusqu’au 26 mars 2016 Du mercredi au samedi à 20h30 Spectacle en anglais surtitré en français Les représentations de Splendid’s sont précédées de la projection Durée : 1h50 Réservation Tarifs : de 14 à 29 € La Colline M° Gambetta Du 19 avril au 21 avril 2016 au Théâtre Vidy-Lausanne, Suisse Les 27 et 28 avril 2016 au Théâtre de Lorient |
Jusqu’au 26 mars 2016 Cette pièce écrite en 1948 avait été reniée par Genet lui-même, qui en déchira le manuscrit malgré les louanges de Sartre. Une copie retrouvée a permis au metteur en scène Arthur Nauzyciel de s’en emparer avec une équipe d’acteurs américains. Le spectacle étant interprété en anglais, il est surtitré et cette inversion de langue renforce un aspect cinématographique. Formés sur un jeu très physique, les comédiens s’ajustent à une direction qui travaille sur l’immobilité, la stagnation, les plans fixes et le mouvement ralenti. Toute la pièce se déroule en un lieu unique, dans un hôtel aux États-Unis nommé Splendid’s. Au septième étage, sept gangsters ayant kidnappé et assassiné la fille d’un milliardaire sont retranchés. Ils savent que l’immeuble est cerné et leurs dernières munitions ne leur laissent aucune chance. Fasciné par ces hommes, un flic traître les a rejoints. L’ensemble de la pièce repose sur leurs derniers échanges en leurs dernières heures, dans une tension extrême où les mots se dévident en un flot régulier, presque lassant pour le spectateur, tandis que les regards fulgurants et violents deviennent des balles qui animent l’espace. Dans cette absence d’action où chacun est objectivement condamné, le moindre geste devient une menace ou un espoir, une tentative ou un achèvement. La situation au bord de l’assaut laisse monter des fantasmes, des expressions de l’inconscient et d’ultimes jeux de séduction, le tout adossé à un massacre qui rôde. Le temps se désagrège, pris dans l’ombre de la mort, et, comme si chaque seconde s’écoulait éternellement dans le corps de chacun de ces hommes, une étrange atmosphère s’épaissit et absorbe le public. Le flux verbal s’étire, les hommes s’épient et se cherchent, sans échappatoire ils se livrent dans leur petit périmètre à une danse de mort et de sexe, en une pulsion prise au piège, qui inéluctablement s’étouffe. La mise en scène d’Arthur Nauzyciel au plus près des comédiens crée un souffle long, tendu, serré et uniforme, qui entoure la pièce d’une esthétique onirique. On peut s’y sentir extérieur mais si le principe voulu opère, alors l’écoute est suspendue sur un fil, happée par cet espace-temps où les corps des hommes donnent à voir et à entendre le troublant ballet d’Eros et Thanatos. Les comédiens américains avec lesquels le metteur en scène a déjà travaillé ainsi que Xavier Gallais excellent dans cette lente dérive, glissade dangereuse contre laquelle les hommes, aussi beaux qu’ils soient en leur expression de force et de vie, ne peuvent s’opposer. Avant la pièce, le film de Jean Genet intitulé Un Chant d’amour est projeté, subtilement allié à la pièce. Il s’agit en effet des fantasmes d’un maton qui surveille de jeunes hommes en prison. Ce film tourné en deux mois en 1950 eut une vie longuement clandestine, trop subversif et à la limite de la pornographie pour pouvoir être distribué. Alors qu’il fut présenté en 1975 à une commission du Centre National de la Cinématographie, le film obtint une récompense pécuniaire mais Jean Genet la refusa, estimant que son film était “l’esquisse d’une esquisse”. Ces deux volets sont donc des étapes peu connues de Jean Genet. Même si lui-même s’en distanciait, elles portent, bien qu’écrites en des années de jeunesse, une forte densité érotique. Il faut rappeler que Genet avait déjà expérimenté l’abandon, la pauvreté, la délinquance, la prison et toutes les violences qui allaient générer sa révolte lyrique. La langue n’y a pas encore l’épaisseur bouleversante des œuvres suivantes et l’on peut être dérouté ici par la forme scénique de Splendid’s, mais grâce à cet alliage du film et de la pièce, on entend et l’on voit monter les futurs et splendides chants de cet auteur, qui mourut lui-même dans un hôtel nommé Jack’s Hôtel en 1986. Émilie Darlier [Photos © Frédéric Nauczyciel] |
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