Fêtes Nocturnes 2016 : Don Quichotte s’installe au Château de Grignan
Don Quichotte Dans le cadre des Fêtes Nocturnes de Grignan D’après Cervantès Adaptation et mise en scène Jérémie Le Louët Avec Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Jérémie Le Louët, David Maison Château de Grignan |
Jusqu’au 20 août 2016
Trois châteaux classés monuments historiques : Grignan, Suze-la- Rousse et Adhémar-Montélimar. A Grignan, cette machine à remonter le temps, les Fêtes Nocturnes, invitent chaque année une compagnie de théâtre avec des textes inédits. Dans ce château qui domine largement cette part de Drôme provençale, les Nocturnes de Grignan s’imposent dès leur début, il y a trente ans, comme un des rendez-vous incontournables des meilleurs festivals de l’été. Jusqu’à la fin août, c’est la fantastique aventure de Don Quichotte de Cervantès donnée par la compagnie Les Dramaticules, adaptée et mise en scène par Jérémie Le Louët qui est à l’honneur. Don Quichotte se tient devant nous [Jérémie Le Louët] avec son fidèle Sancho Panza [Julien Buchy], la vraie Dulcinée [Dominique Massat], enfin tout un monde féerique joué de façon très enlevée par Anthony Courret, Jonathan Frajenberg et David Maison restituent de la plus belle manière la formidable épopée du Quichotte. Dès le début du spectacle, un technicien invite les spectateurs à couper leur portable et leur propose de les filmer, en vrai, comme à la télé, eux qui ont pris soin de mettre un masque représentant une tête de…mouton ! Le travelling vidéo se lance dans un immense bêlement car chacun se prend au jeu et cet amphithéâtre monté devant la façade renaissance du château de Grignan résonne de la plus belle façon. Plus tard, le public reverra la scène. Par une scénographie et une mise en scène très audacieuses truffées de merveilleuses trouvailles créatives, Jérémie Le Louët nous livre, malgré quelques flottements sans gravité, un monde fantastique et une galerie de personnages truculents qui laissent le spectateur béat quand il ne comprendra qu’au moment des saluts que cette joyeuse compagnie compte seulement six acteurs et deux comédiens-techniciens. Pour cette performance d’acteurs, on est transporté sur un vrai plateau de tournage avec les perches, les pieds, les énormes projos, les caméras articulées, les rails de travelling, la régie avec les gueulantes des techniciens et l’énervement des réalisateurs, les petits accrocs entre acteurs. Car ici on tourne un film. Ce choix artistique crée une sympathique forme de fiction à travers Don Quichotte et amène nos regards vers notre monde moderne. Alonso Quijano aurait-il lu trop de romans de chevalerie ? Il change son nom pour Quichotte,décide de se faire chevalier errant et part sur les routes accompagné de son écuyer Sancho Panza, à la recherche de la gloire, défendant les opprimés, pourfendant les oppresseurs. Il est le Don Quichotte que chacun connaît, chevalier fanatisé par ses propres fantasmagories qui toutefois nous plait car il lutte contre les injustices de ce monde avec les phrases édifiantes et le vocabulaire qui tapent juste là où il faut puisque l’arbitraire d’hier ressemble tellement aux violences d’aujourd’hui. Chaque acteur est un Don Quichotte Le spectacle dans le spectacle fait dire au jeune metteur en scène de cette mise en abyme Jérémie Le Louët continue sur sa lancée : « Refaire seulement Don Quichotte ne fait pas une pièce de théâtre. Nous avons affaire à un texte du 17° siècle qui n’est pas aussi moderne que certains l’affirment. Pour moi, il fallait montrer ce qui a nourri le Quichotte et ne pas s’abstraire de l’histoire d’une troupe qui s’abîme dans le théâtre. Nous, pour les Dramaticules, notre compagnie, exister c’est être acteur, c’est donc croire à ce que l’on fait. On doit croire à la pulsion. Chaque acteur est un Don Quichotte. Notre spectacle raconte l’histoire d’un homme qui décide de lutter contre la médiocrité du monde, pour la transformer en une épopée fantasmagorique. C’est, je crois, la quête de tout artiste et de tout spectateur. » Le grotesque, le pathétique et le sublime Influencé par Fellini (huit et demi), il aurait désiré réaliser lui-même un film mais il nous confie qu’il en est incapable car « faire un film inutile ne sert à rien. Je revendique l’incapacité de faire et je revendique le ratage sublime! » (allusion aux tentatives avortées de monter Don Quichotte au cinéma). Dans Quichotte très justement, on n’est pas loin de la chute permanente au milieu des tensions de toutes sortes et la mise en scène du renoncement que nous donne Jérémie Le Louët dans des tableaux assez époustouflants ne font au final que parler d’un homme qui avait la foi et qui la perd, une histoire mélancolique somme tout assez dérisoire. « J’aime le dérisoire, l’absurde » répond-il, le théâtre de la désillusion pour Quichotte. « Ce qui m’intéresse c’est l’endroit de l’émotion, faire qu’apparaisse le pathétique terrifiant dans la drôlerie et dans l’humour absurde.» Borgès est son auteur préféré, lui qui dans son premier conte antastique dévoilait son goût pour l’imposture en décrivant la vie et l’œuvre d’un écrivain français des années 1930 qu’il imaginait : Pierre Ménard. Celui-ci aurait le projet secret de réécrire le premier livre de Don Quichotte [1938 – Pierre Ménard, auteur du Quichotte] Du rythme, de belles surprises attendent le spectateur à Grignan jusqu’à la fin août. Ensuite, il partira à Paris puisque ce spectacle sera donné à la rentrée au Théâtre Treize-13 du 8 septembre au 9 octobre. Au centre du spectacle du bien talentueux Jérémy Le Louët, persiste la ténacité de deux aventuriers qui sont de véritables moulins à vent qui brassent de l’air. Cet univers théâtral, servi par le jusqu’au-boutisme de son adaptateur, met en relief deux époques et se nourrit de l’imagination de Quichotte, un des derniers véritables chevaliers (avec Cyrano et son Panache!) . Cette joyeuse confrérie d’acteurs fidèles à la lettre et à l’esprit des 1500 pages que compte l’ouvrage de Cervantès, apporte cette ferveur et cette jeunesse qui disent l’espérance. Celle que Quichotte, ce pauvre chevalier de l’impossible rêve, avait perdue en même temps que le Graal éternel malgré les consolations empêtrées du fidèle Sancho. Patrick duCome Confession Off : Deux leçons de théâtre par Jérémie Le Louët Sur la musique Sur le comédien [Photos : © Martine Mahou et Jean-Louis Fernandez] |
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