Sophie Jasmin : “Une Alliance Française est vraiment un lieu de vie !”
Rencontre avec la directrice de l’Alliance Française du Cap, en Afrique du Sud. Passionnée et engagée, cette Réunionnaise d’origine promeut la culture française auprès de publics divers.
Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs le but et le fonctionnement d’une Alliance Française ?
Une Alliance Française est une organisation à but non lucratif. Il y en a plus de 800 dans le monde. Association de droit local, elle dépend fortement de la législation du pays dans lequel elle est implantée. Le label lui est accordé par la Fondation Alliance Française basée à Paris. Elle doit respecter une charte. Nous avons deux missions principales, l’enseignement du français et le rayonnement de la culture française et de la (ou les) culture(s) du pays d’implantation.
Quelles sont les spécificités de l’Alliance du Cap ?
Fondée il y a 61 ans, cette Alliance est bien implantée. Située en centre-ville, nous avons la chance d’être propriétaires de nos locaux et nous sommes implantés dans un bâtiment très ancien, ce qui donne un peu de cachet à l’Alliance Française du Cap. Nous avons à peu près 500 élèves par an. Notre comité est composé de six personnes, toutes Sud-Africaines qui ont une relation particulière à la France ou aux Français.
Comment est composée votre équipe ?
Nous avons une douzaine de professeurs : beaucoup de Français, mais aussi des Congolais, des Sud-Africains qui peuvent travailler à l’Alliance grâce aux études effectuées en Afrique du Sud et à travers d’éventuels stages en France. Ces derniers revenus dans leur pays promeuvent le français. Ils sont rares en Afrique du Sud ; ce sont des exemples pour moi et pour beaucoup d’autres Sud-Africains.
Comment l’Alliance Française du Cap fait-elle face à la situation sanitaire ?
Comme beaucoup, nous avons été fortement impactés. Toutefois, un grand élan de solidarité entre les Alliances du réseau Afrique australe nous a permis de rester à la surface. Au tout début du confinement, nous avions des réunions très régulièrement et nous échangions entre collègues sur les bonnes pratiques, les idées mises en place par les uns et les autres. Heureusement, car être seul à la barre, en pleine tempête, n’est pas du tout évident ! Nous avons aussi pu compter sur le soutien de l’Ambassade qui nous a aidés avec des aides exceptionnelles ou spécifiques, du matériel, etc.
Nous avons eu 15 jours pour basculer sur Internet ! Le mode d’ordre était : adaptation. Toute l’équipe s’est effectivement adaptée et a compris que c’était ce qui allait nous permettre de continuer. Nous avons également pu compter sur le soutien de certains étudiants. Même si tous n’aiment pas avoir des cours en ligne, nous avons réussi à fidéliser un noyau qui nous a permis de survivre.
Quels sont vos objectifs actuels ?
Maintenir une activité pour 2021. Nous ne savons pas ce qui peut arriver. Personne n’est à l’abri d’une baisse d’activité, ce qui ne permettrait plus d’avoir un fonctionnement optimal. Nos projets pour l’année prochaine sont de bien démarrer notre année et d’attirer de nouveaux publics.
Nous parlons beaucoup de l’aspect négatif de cette crise, mais relevons l’aspect positif : la mise en place de nouvelles offres et l’opportunité, grâce aux cours en ligne, d’attirer des publics plus distants.
Nous espérons aussi pouvoir proposer une offre en présentiel et, même si je n’en étais pas convaincue jusqu’à maintenant, une offre phygitale. Nous espérons effectivement pouvoir continuer notre programmation culturelle reprise depuis septembre. Une Alliance ne se résume pas aux cours. Elle partage la culture, notamment la littérature, favorise les échanges.
Quel a été votre parcours avant de devenir directrice d’Alliance Française ?
J’ai fait des études dans l’art et la culture en France métropolitaine. J’ai fait le choix ensuite de revenir à la Réunion, dont je suis originaire, et j’ai travaillé au service culturel de la Région jusqu’à en prendre la direction en 2014. Et puis, j’ai eu envie de découvrir autre chose. Mon parcours en tant que fonctionnaire territoriale me permettait une passerelle vers le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. L’Alliance était un outil que je connaissais de loin, mais quand l’opportunité s’est présentée, je l’ai saisie.
Quelles sont vos missions ?
Voici une journée type : assurer le suivi administratif, c’est-à-dire comptabilité, vérification des factures, etc. (une partie du travail très importante). Ensuite, nous faisons le point avec l’équipe. Nous parlons des projets du mois, aussi bien sur le volet culturel que sur le volet pédagogique. Ensuite, j’accueille les gens et les oriente. Nous parlons aussi d’un peu tout. On doit également s’occuper du bar le soir si l’on a un événement. En fait, une Alliance est vraiment un lieu de vie.
C’est donc un poste à 360 degrés. Je plaisantais avec mon collègue de Johannesburg en disant qu’un directeur s’occupe de l’Alliance du sol au plafond. Il faut être capable, le matin, d’avoir fait le point parce que la porte des toilettes ne fonctionne pas et puis, l’après-midi, accueillir un ministre tout en gérant les deux avec autant de sérieux. C’est très prenant, mais passionnant.
Je suis à la fois directrice de l’Alliance Française du Cap et de celle de Mitchell’s Plain, une petite Alliance qui se trouve à une trentaine de kilomètres du Cap, où les missions sont complètement différentes. À Mitchell’s Plain, il faut avant tout tisser du lien social. Le public n’est pas déjà conquis. Avant de lancer des projets, on doit d’abord comprendre ses besoins spécifiques, beaucoup échanger et collaborer. Par exemple, nous avons commencé à faire un jardin. Nous nous retroussons les manches, nous déblayons, nous ramassons les ordures, nous commençons à planter. L’opérationnel prend le pas sur l’administratif. Nous travaillons aussi avec une association qui organise des concerts de jazz dans les townships, celles-là mêmes qui programment les groupes une fois par mois à l’Alliance Française du Cap. La programmation n’est pas de moindre qualité à Mitchell’s Plain.
Selon vous, quelles qualités doit posséder une directrice d’Alliance Française ?
Il faut être multitâche. Au bout de trois ans, je peux dire qu’il faut être capable de maîtriser aussi bien la comptabilité, la relation avec les fournisseurs, que la pédagogie. Il faut aussi être ouvert, être à l’aise dans la communication avec les gens. Nous devons être à l’écoute, bien analyser notre environnement pour pouvoir proposer quelque chose qui réponde à leurs attentes, tout en leur faisant découvrir d’autres choses.
Surtout, il est nécessaire d’aimer son métier, c’est-à-dire être passionné par l’image que l’on a envie de donner de cette Alliance et de la France à l’étranger. Nous participons au rayonnement de notre langue et de notre culture tout en intégrant les spécificités du pays. Enfin, il faut être prêt à travailler 70 heures par semaine en autonomie !
Quelles sont les actions mises en place dont vous êtes la plus fière ?
Une des actions que j’ai proposées à Mitchell’s Plain consiste à mettre en place un cours de français intensif (8 heures par semaine) pour un public de jeunes adultes issus du township ayant un projet à visée professionnelle. L’objectif : atteindre le niveau B2 en une année afin de devenir guide, ou de donner des cours d’initiation au français dans les écoles. Nous avons démontré à des gens, souvent désabusés, que l’apprentissage de cette langue permet de changer leur horizon. Depuis deux ans que nous y travaillons, ce projet peut enfin se mettre en place. Je suis ravie de voir des jeunes s’accrocher et réussir.
À l’Alliance du Cap, je suis fière, avec l’équipe, de fidéliser les publics sur les activités culturelles. Voir la médiathèque de plus en plus fréquentée, croiser du monde à nos concerts, constater la satisfaction des gens, recevoir leurs encouragements, tout cela est très gratifiant.
Pour finir, voulez-vous partager avec nous une citation qui vous inspire ?
J’en ai une en créole : un proverbe réunionnais dit “Ti hache, i coupe gros bois” (une petite hache arrive à couper de gros morceaux de bois). Je trouve ça inspirant pour la vie en général ! Car nous sommes tous capables. Il n’y a pas de défis insurmontables ! Même petits, nous sommes en mesure de relever de grands défis.
Propos recueillis par Claire Eouzan
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